Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
la manière du rhéteur, adressé à tous, jusqu ’ à la consultation personnelle, adaptée à chaque cas particulier. Plutarque nous parle de l ’ étonnement des gens qui, habitués à entendre les philosophes dans les écoles, avec le même sentiment qu ’ ils écoutent les tragédiens dans les théâtres, ou les sophistes dans leur chaire, c ’ est-à-dire en cherchant en eux la seule virtuosité de parole, sont tout surpris que, le cours une fois fini, ils ne déposent pas leurs idées avec leurs cahiers ; et surtout « lorsque le philosophe les prend en particulier et les avertit franchement de leurs fautes, ils le trouvent déplacé ; ... ils ignorent que chez les vrais philo,sophes, le sérieux et la plaisanterie, le sourire et la sévérité, p.422 et surtout les raisonnements qu ’ ils tiennent à chacun en particulier ont la plus utile influence [599] » . Entre ces conférences morales d ’ apparat dont les discours de Dion Chrysostome donnent l ’ exemple et ces consultations personnelles, telles que celle que Sénèque a écrite pour son ami Sérénus Sur la Tranquillité de l ’ âme , il y a toute sorte de procédés intermédiaires : en particulier, dans l ’ enceinte de l ’ école, la diatribe. Le maître (ou un élève) vient de faire une leçon technique ; il donne la permission de l ’ interroger, et commence alors une improvisation, libérée de toutes formes techniques, dans un style souvent brillant et imagé, plein d ’ anecdotes, ayant recours à l ’ indignation ou à l ’ ironie ; tel est le procédé que le philosophe Taurus employait à Athènes, d ’ après Aulu-Gelle ( I, 26 ) ; tel est celui d’Épictète dont l ’ élève Arrien a rédigé les célèbres diatribes. Il est même visible que, dans cette rédaction, est parfois entré le résumé de la leçon ou du commentaire technique que venait de faire le disciple, à quoi nous devons de très rares mais précieuses indications techniques sur l ’ ancien stoïcisme dont le ton tranche d ’ une manière remarquable avec les vigoureuses sorties du maître [600] .
III. — MUSONIUS RUFUS
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De Musonius Rufus, Stobée en son Florilège , a conservé quelques prédications morales, rédigées par un de ses élèves ; par exemple un sermon Sur la nourriture (17, 43), où il fait de l ’ abstinence dans le boire et le manger le principe de la tempérance et recommande, à la manière d ’ un pythagoricien, le végétarisme ; dans le sermon Sur l ’ abri (1, 64) il prescrit la simplicité dans le vêtement et dans l ’ architecture ; ailleurs (19, 16) il écrit pour recommander aux philosophes de ne pas p.423 porter plainte contre les insultes qui, effectivement (il suffit de lire Épictète), devaient être nombreuses (56, 20). A ceux qui croient la vocation de philosophe incompatible avec le mariage, il répond en citant tout une liste de grands philosophes mariés, Pythagore, Socrate, Cratès, et en faisant l ’ éloge du mariage : « le détruire, c ’ est détruire la famille et la cité ; c ’ est détruire tout le genre humain (67, 20). » Il en indique les devoirs. Il met en garde contre l ’ incontinence. Ailleurs (75, 15), il se montre fort préoccupé de la diminution du nombre des enfants dans les familles romaines, « la chose la plus nuisible qui puisse être à la cité » , et s ’ élève en particulier contre l ’ abominable pratique, toujours vivante, paraît-il, de l ’ exposition des enfants. A un jeune homme qui voulait faire de la philosophie, malgré l ’ ordre formel de ses parents, et qui lui demandait s ’ il n ’ y avait pas des cas où un fils pouvait désobéir, il répand en recommandant l ’ obéissance complète et stricte aux parents, tout en lui faisant comprendre que ses parents ne peuvent pas et même ne veulent pas l ’ empêcher de philosopher, c ’ est-à-dire non pas de porter barbe longue et manteau court, mais d ’ être juste et tempérant. Il faut enfin citer sa méditation sur l ’ exil, qui ne nous prive d ’ aucun bien véritable [601] .
On voit la manière : des morceaux courts, de même inspiration, mais sans appareil technique, sans systématisation et dont chacun se suffit à lui-même. En une pareille éducation, Musonius a la plus grande confiance ; c ’ est elle qui fait les bons rois comme les bons citoyens ; le maître de morale est indispensable ; il est utile de manger, de boire et de dormir
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