Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
histoire naturelle sur les p.426 poissons commence-t-il une diatribe contre le luxe de table, comme il blâme l ’ usage de la glace, à propos de la formation de la neige. Sa théologie n ’ est aussi et ne veut être que d ’ édification morale. « Voulez-vous être agréable à Dieu ? Soyez bon ; lui rendre un culte, c ’ est l ’ imiter ; c ’ est non pas user de sacrifices, mais d ’ une volonté pieuse et droite. » Il a cette dévotion stoïcienne envers Dieu bienfaisant, Dieu témoin intérieur de nos actes, Dieu père, Dieu juge, qui laisse complètement intacte l ’ étude de sa nature et de son rapport au monde : L ’ origine divine de l ’ âme humaine, parcelle du divin descendue dans le corps, est encore pour lui matière à développement édifiant ; mais, peu lui importe ce qu ’ est l ’ âme et où elle est [607] . Où Sénèque est vraiment chez lui, c ’ est dans le tableau subtil et mille fois nuancé des vices ou maladies morales qu il veut soigner. Observation aiguë et pessimiste, voilà ce que nous trouvons chez lui. « C ’ est une réunion de bêtes fauves, dit-il de la société de son temps ; la différence, c ’ est que celles-ci, entre elles, sont douces et s ’ abstiennent de mordre ; les hommes se déchirent entre eux [608] : » Le sage ne s ’ irrite pas contre un vice commun à tous ; il verra les hommes d ’ un œil aussi favorable que le médecin voit ses malades ; il aura d ’ ailleurs comme contre-partie le sentiment de l ’ extrême fragilité des choses humaines, en lesquelles rien n ’ est certain que la mort [609] . Aussi Sénèque développe-t-il avec complaisance toutes les nuances du mal moral, en particulier ce dégoût de la vie et de l ’ action qui enlève le calme à son ami Sérénus :« un regret de la chose entreprise, crainte d ’ entreprendre, ballottement de l ’ esprit qui ne trouve pas d ’ issue parce qu ’ il ne peut ni commander à ses désirs, ni leur obéir. D ’ où l ’ ennui et le mécontentement de soi [610] » .
V. — ÉPI C T È TE
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p.427 Sénèque s ’ adresse le plus souvent à des hommes faits, que les circonstances ont éprouvés et qu ’ il veut guérir. Épictète est le maître des jeunes gens dont il veut former la volonté ; souvent des jeunes gens riches destinés aux carrières publiques et qu ’ il faut garantir contre les mille dangers du servilisme, de la flatterie, des subits revers de fortune. Sous mille formes. il leur répète la même vérité ; le bien et le mal pour l ’ homme sont uniquement dans ce qui dépend de lui, c ’ est-à-dire dans le jugement et la volonté qui, selon qu ’ ils seront sains et droits, ou bien dépravés, produiront tout le bonheur ou le malheur dont l ’ homme est susceptible. La vraie liberté, c ’ est l ’ affranchissement des opinions fausses. L ’ époque d ’ Épictète est celle où l ’ ingénu, celui qui n ’ a dans ses ascendants que des hommes libres, se fait de plus en plus rare ; les affranchis et leurs familles ont un rôle qui va croissant ; Épictète lui-même est un esclave affranchi [611] . C ’ est cette libération de fait de l ’ esclave qu ’ Épictète transpose dans le sentiment moral : « Le dogme philosophique, dit-il, c ’ est ce qui fait relever la tête à ceux qui sont abaissés, ce qui permet de regarder les riches et les tyrans droit dans les yeux [612] . » C ’ est bien des fois qu ’ il exprime l ’ idée que le travail manuel ne déshonore pas, et à un de ses disciples qui craignait la pauvreté, il donne en exemple des mendiants, des esclaves et des travailleurs.
Cette liberté intérieure consiste dans « l ’ usage des représentations [613] . » Toute action, aussi bien chez l ’ animal que chez l ’ homme, suit une représentation ; l ’ animal comme l ’ homme use de ses représentations pour agir. Mais les bêtes n ’ ont pas conscience de cet usage ; l ’ homme en a conscience, et c ’ est p.428 pourquoi il peut en user bien ou mal, correctement ou non. « Ce qui n ’ est pas à moi ce sont mes aïeux, mes proches, mes amis, ma réputation, mon séjour, — Qu ’ est-ce qui est donc à toi ? — L ’ usage de mes représentations. Personne ne peut me forcer à penser ce que je ne pense pas [614] . »
A ce sentiment de liberté est lié un sentiment religieux très vif, qui consiste avant tout en une relation
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