Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
blanchis et ne se lassant pas d ’app rendre.
Avec de si multiples ramifications, il est naturel que le stoïcisme affleure parfois dans la vie politique : le stoïcisme est suspect, surtout aux mauvais empereurs : parmi les accusations de Tigellinus, l ’ affranchi de Néron, contre Rubellius Plautus, le petit-fils d ’ Auguste, qu ’ il voulait faire passer pour un prétendant à l ’ empire, se trouve l ’ imputation de stoïcisme ; « il suit, dit l ’ accusateur, la secte arrogante des Stoïciens, fauteurs de troubles et désireux de désordre. » Rubellius alors en Syrie (en 62) avait auprès de lui comme conseillers moraux les philosophes Coeranus et Musonius ; et, comme on lui envoyait des soldats pour le mettre à mort, contre l ’ opinion d ’ un affranchi qui voulait qu ’ il résistât, ils lui conseillèrent « à la place d ’ une vie incertaine et tremblante la fermeté d ’ une mort toute prête ». Plus tard, en 65, l ’ exil de Musonius et de Cornutus est compris dans les mesures ordonnées par Néron à la suite de la conjuration de Pison ; Musonius était suspect d ’ apprendre la p.420 philosophie aux jeunes gens [594] . Opposition muette, on le voit par ces exemples, et non pas résistance ouverte ; le stoïcisme n ’ est pas devenu, plus qu ’ il ne l ’ a jamais été, un parti politique ; le célèbre Thraséas n ’ était pas un politique. Sous Vespasien, nouvel assaut ; le gendre de Thraséas, Helvidius Priscus, alors stratège, est accusé de refuser de rendre les honneurs à l ’ empereur et de faire de la propagande en faveur de la démocratie ; en 71, tous les philosophes sont chassés de Rome, sauf Musonius, qui, rappelé à Rome sous Galba, ne fut pas inquiété. C ’ est vers cette époque que Dion Chrysostome, encore rhéteur et non touché par la grâce cynique, prononce des discours Contre les Philosophes , « ces pestes des cités et des gouvernements » . Plus tard, en 85, le soupçonneux Domitien faisait tuer le sophiste Maternus pour avoir prononcé un discours d ’ école contre les tyrans, Rusticus Arulinus « parce qu ’ il philosophait et considérait Thraséas comme un saint » , Herennius Senecion pour avoir rédigé une vie d ’ Helvidius Priscus [595] .
Le stoïcisme, si répandu, a-t-il laissé quelque chose de lui dans le droit romain ? Le caractère historique du droit romain est sans doute son indépendance quasi parfaite de la religion, et de la morale, c ’ est aussi une notion de la souveraineté de l ’ État, vraiment étrangère à la Grèce ; aussi, bien que les traités théoriques comme les Lois de Cicéron soient d ’ inspiration stoïcienne, bien que l ’ on puisse trouver chez Ulpien une définition stoïcienne de la justice, « la volonté constante et perpétuelle d ’ attribuer à chacun le sien » , le stoïcisme n ’ a joué là qu ’ un rôle effacé ; les historiens du droit ne sont même pas d ’ accord pour faire remonter au stoïcisme la notion de droit naturel, et plusieurs lui donnent une origine purement romaine [596] .
p.421 L ’ enseignement des Stoïciens se présente sous plusieurs formes assez différentes : il y a d ’ abord, dans l ’ école, un enseignement technique très sec et scolastique, fondé sur la lecture commentée des anciens maîtres ; de Chrysippe en particulier, celui qu ’ Aulu-Gelle a connu chez les Stoïciens d ’ Athènes dans la première moitié du I I e siècle ; il en indique les divisions, en particulier celles de la dialectique et de la morale, qui ne font que reproduire les divisions traditionnelles. On apprend en particulier à mettre en forme les syllogismes [597] . Chez Philon d ’ Alexandrie, chez Épictète on trouve nombre d ’ allusions à des leçons d ’ école de ce genre ; Épictète reproche plusieurs fois aux maîtres de philosophie de s ’ en tenir à l ’ interprétation de Chrysippe et d ’ être de purs philologues. Il est à noter que les seuls Stoïciens qu ’ on lit sont de l ’ ancien stoïcisme ; les plus récents que cite Épictète sont Archédème, Antipater et Crinis ; on ignore Panétius et Posidonius, et, avec eux, la direction nouvelle, humaniste et platonicienne qu ’ avait prise l ’ école. Épictète est plus près de Zénon que de Panétius [598] .
Il y avait un enseignement plus vivant et plus agissant. Il employait tous les procédés depuis le discours public, à
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