Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
a passé, à la fin de l’antiquité, par les mêmes étapes que la pensée païenne. A l’enseignement moral de l’époque impériale correspondent (on l’a souvent remarqué à propos de Sénèque) la prédication et les épîtres de saint Paul. A la période de formation et d’éclosion du néoplatonisme, à la fin du I er et au II e siècle répondent le quatrième évangile, p.495 les apologistes et le développement des systèmes gnostiques. Au point de maturité du platonisme avec Plotin correspond la formation des vastes synthèses théologiques de Clément et d’Origène au didascalée d’Alexandrie. Proclus et Damascius ont pour contre-partie vers la même époque saint Augustin, les pères de Cappadoce, puis tous ceux qu’on peut appeler les néoplatoniciens chrétiens, comme Némésius et Denys l’Aréopagite.
Même courbe du mouvement spirituel des deux côtés, même tendance à passer d’une vie morale et religieuse surtout intérieure, reposant sur la confiance en Dieu, à une théologie doctrinale et dogmatique, qui parle de Dieu dans l’absolu plutôt que des rapports de l’homme avec Dieu.
Saint Paul est un hellène d’éducation et, soit influence directe, soit action diffuse de doctrines partout répandues. on trouve chez lui nombre d’idées, de manières de penser, d’expressions familières à Sénèque et surtout à Épictète. Le christianisme comme le stoïcisme est cosmopolite ; et il ne connaît qu’une vertu commune à tous les êtres raisonnables. « Point de Juif, ni de Grec, d’esclave ni d’homme libre, de sexe masculin ou féminin ; tous vous êtes un en Jésus-Christ. » Comme la diatribe stoïcienne, saint Paul prêche la parfaite indifférence, au point de vue du salut, de la condition sociale dans laquelle on vit [696].
Le sentiment que l’apôtre des Gentils ou même les évangélistes ont de leur rôle et des devoirs qui leur incombent est le même que chez Épictète [697] ; on sait quelle haute idée celui-ci se faisait de sa mission morale « s’y donnant de toute son âme » et se considérant comme un soldat, ainsi que saint Paul, « bon soldat du Christ ». La source de sa force est chez Épictète, comme chez saint Paul, la confiance en Dieu ; l’un et l’autre savent qu’ils peuvent tout grâce au Dieu qui leur donne sa puissance. p.496 Cette assurance en la raison qui juge et comprend toute chose vient de ce qu’elle nous a été donnée par Dieu ; c’est ainsi que chez saint Paul, « l’homme spirituel juge tout et n’est jugé par personne ». Comme le Cynique dont Épictète trace le portrait idéal, l’apôtre est un envoyé de Dieu sur la terre [698].
De cette foi en Dieu provient chez l’un comme chez l’autre le calme en toutes circonstances, puisque tous les événements résultent de la bonté de Dieu.
Comme le prédicateur stoïcien, l’annonciateur de l’évangile ne trouvait souvent que raillerie chez les gens du monde. On connaît le vieillard aux bagues d’or qui, chez Épictète, conseille le jeune homme : « il faut philosopher, mais il faut aussi avoir de la cervelle ; et ces choses sont folles [699]. » De même, saint Paul sait bien que le christianisme est « folie » aux yeux de l’homme psychique, qui ne peut connaître ce que juge l’homme spirituel. C’est précisément cette ignorance de leurs propres fautes, cette inconscience dans le péché qui rendent indispensable la tâche du prédicateur ; douceur envers ces ignorants, pardon fraternel de l’injustice, insouciance du jugement d’autrui, telle est l’attitude que le philosophe et l’apôtre ont en commun devant le siècle.
Tous ces traits communs viennent des conditions analogues dans lesquelles se fait la prédication ; ils répondent à un même besoin, passionnément senti, de conversion intérieure. Il ne s’agit ni d’influer par la parole à la manière des sophistes, ni de faire connaître un dogme ; la théologie paulinienne est aussi peu précise que le dogme stoïcien chez Épictète ; ce qui importe à saint Paul, ce n’est pas de découvrir la nature de Dieu, mais de sauver l’homme, et c’est pourquoi le Christ qui exprime tous les rapports de Dieu avec l’homme est au centre de sa pensée. De la même manière, peu importe à Épictète la question p.497 de la substance de Dieu ; ce qui est au premier plan, c’est la filiation divine de l’homme, exprimée avec une nuance de tendresse
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