Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
circonstances, qui n’est pas impassible, puisqu’il est touché par la pitié ; c’est de croire à une sorte de mythologie, celle du Christ, « dont les récits n’admettent pas d’interprétation allégorique », c’est-à-dire qui se donne comme une histoire réelle et ne peut être réduite à un symbole d’une loi physique. C’est là, pour un Platonicien comme Celse, un manque de tenue intellectuelle.
Ainsi d’une part un christianisme pur foncièrement indépendant de la spéculation philosophique grecque, et une culture intellectuelle autonome, toute grecque d’origine et sans rapport à la vie spirituelle du chrétien ; d’autre part un christianisme qui apporte une vision de l’univers entièrement nouvelle, un univers dramatique où l’homme est autre chose que l’immaculée connaissance de l’ordre du monde.
A prendre la question d’une manière purement historique, en s’abstenant de ces grosses oppositions entre paganisme et p.491 christianisme, en utilisant les études de détail poursuivies depuis près d’un siècle sur les origines du christianisme, on s’apercevra, croyons-nous, qu’aucune de ces solutions n’est satisfaisante. Examinons-les brièvement tour à tour : le christianisme pur des historiens protestants n’est qu’une abstraction, parfaitement légitime au point de vue pratique, mais tout à fait illégitime aux yeux de l’historien ; c’est en effet une seule et même évolution qui, dans les cinq premiers siècles, emporte la pensée païenne du problème pratique de la conversion intérieure chez un Sénèque ou un Épictète à la théologie raffinée de Plotin et de Proclus, et la pensée chrétienne du christianisme spirituel et intérieur de saint Paul à la théologie dogmatique d’Origène et des Cappadociens : il serait difficile de ne pas voir jouer les mêmes facteurs dans cette transformation. Comment ne pas se souvenir d’ailleurs de cette vérité historique de mieux en mieux démontrée que ce qui sépare païens et chrétiens, ce n’est point une question de méthode intellectuelle et de spéculation, mais seulement la soumission aux cultes légaux et en particulier au culte de l’empereur ?
Quant au développement autonome de la pensée scientifique, le fait paraît tout à fait exact ; mais il faut remarquer que le christianisme n’a pas, à l’égard de l’éducation scientifique grecque, une situation différente de celle de la philosophie grecque elle-même. Origène, par exemple, distingue avec précision une triple sagesse : « la sagesse de ce monde », ce que Sénèque appelait les arts libéraux et Philon le cycle de l’éducation, c’est-à-dire la grammaire, la rhétorique, la géométrie, la musique, à quoi on peut ajouter la poésie et la médecine, c’est-à-dire « tout ce qui ne contient aucune vue sur la divinité, ni sur la manière d’être du monde, ni sur aucune réalité élevée, ni sur l’institution d’une vie bonne et heureuse ». Puis vient « la sagesse des princes de ce monde », c’est-à-dire la philosophie occulte des Égyptiens, l’astrologie chaldéenne, « mais surtout l’opinion si variée et multiple des Grecs sur la divinité ». p.492 Enfin, la sagesse du Christ qui dérive de la révélation [693]. Il faut ajouter que, dans la première espèce de sagesse, la sagesse de ce monde, pouvaient sans doute entrer des parties plus ou moins considérables de la philosophie, à savoir la logique et la dialectique, certaines généralités de la physique et de l’astronomie, enfin toute l’éducation formelle de l’honnête homme, telle que l’avait conçue un Musonius par exemple, catéchisme moral tout à fait général. Il est intéressant, à cet égard, d’entendre l’opinion d’un Platonicien, contemporain de Proclus, Hermias, qui distingue la « philosophie humaine » de cette initiation spéciale que le platonisme réservait à ses adeptes. Ce n’est pas, dit-il, parler exactement d’appeler philosophie la mathématique, la physique et l’éthique ; c’est un abus de mot ; à cette philosophie humaine, il oppose l’enthousiasme de l’initié, qui contient en lui « la théologie, la philosophie entière et la folie amoureuse [694]. »
Cette partie commune de l’éducation, le christianisme ne la rejette pas du tout en principe ; sans doute les chrétiens sont très divisés sur sa valeur spirituelle ; il y a parmi eux des personnages
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