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Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Titel: Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Émile Bréhier
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se surajoute à l’évangile et à saint Paul pendant les cinq premiers siècles, notamment les spéculations sur la nature du Verbe et sur la Trinité, n’a été qu’une addition dangereuse de la spéculation grecque à la tradition primitive. Dans la seconde intention, on montre que les progrès effectifs de l’esprit humain au point de vue rationnel se rattachent sans suture aux sciences grecques, sans que le christianisme intervienne dans la marche qui a conduit de la mathématique grecque au calcul infinitésimal ou de Ptolémée à Copernic : sorte de développement autonome de la raison que le christianisme a pu parfois entraver, mais qu’il n’a jamais aidé : tel est le point de vue des théoriciens du progrès dans la seconde moitié du XVIII e siècle.
    D’après d’autres, au contraire, le christianisme marquerait une révolution importante dans notre conception de l’univers. On présente d’ailleurs cette nouveauté du christianisme sous deux aspects assez divers, bien que peut-être complémentaires. En premier lieu, chez les philosophes qui ont une tendance à rechercher dans l’histoire une dialectique interne, on fait remarquer que la philosophie grecque donne essentiellement une p.489 représentation objective des choses, une image de l’univers qui est un objet pour l’esprit qui la contemple ; dans cet objet se trouve en quelque sorte absorbé le sujet, lorsque, science parfaite, il devient, comme le dit Aristote, identique à l’objet qu’il connaît ; dans le stoïcisme, le sujet n’a pas d’autre autonomie que l’adhésion entière à l’objet. Tout à l’inverse, le christianisme connaît des sujets vraiment autonomes, indépendants de l’univers des objets, dont toute l’activité ne s’épuise pas à penser l’univers, mais qui ont une vie propre, vie de sentiment et d’amour intraduisible en termes de représentation objective. En somme en ignorant toutes les spéculations des Grecs sur le cosmos, le christianisme n’a fait que mieux affirmer l’originalité de sa collaboration à la pensée humaine, qui est la découverte de ce qui est irréductiblement sujet, le cœur, le sentiment, la conscience ; et c’est seulement dans une civilisation chrétienne qu’a pu se développer l’idéalisme qui fait de la nature intime du sujet le principe de développement de toute réalité [691].
    De plus, et c’est un second aspect de la révolution mentale due au christianisme, le cosmos des Grecs est un monde pour ainsi dire sans histoire, un ordre éternel, où le temps n’a aucune efficace, soit qu’il laisse l’ordre toujours identique à lui-même, soit qu’il engendre une suite d’événements qui revient toujours au même point, selon des changements cycliques qui se répètent indéfiniment. L’histoire même de l’humanité n’est-elle pas, pour un Aristote, un retour perpétuel des mêmes civilisations ? L’idée inverse qu’il y a dans la réalité des changements radicaux, des initiatives absolues, des inventions véritables, en un mot une histoire et un progrès au sens général du terme, une pareille idée a été impossible avant que le christianisme ne vienne bouleverser le cosmos des Hellènes : un monde créé de rien, une destinée que l’homme n’a pas à accepter du dehors, mais qu’il se fait lui-même par son obéissance ou sa p.490 désobéissance à la loi divine, une nouvelle et imprévisible initiative divine pour sauver les hommes du péché, le rachat obtenu par la souffrance de l’Homme-Dieu, voilà une image de l’univers dramatique, où tout est crise et revirement, où l’on chercherait vainement un destin, cette raison qui contient toutes les causes, où la nature s’efface, où tout dépend de l’histoire intime et spirituelle de l’homme et de ses rapports avec Dieu. L’homme voit, devant lui un avenir possible dont il sera l’auteur ; il est délivré pour la première fois du mélancolique sunt eadem omnia semper de Lucrèce, du Destin stoïcien, de l’éternel schème géométrique où Platon et Aristote enfermaient la réalité [692]. C’est ce trait capital qui a frappé les premiers païens qui se sont occupés sérieusement des chrétiens. Que reproche Celse aux chrétiens dans le Discours vrai qu’il a composé contre eux vers la fin du II e siècle ? c’est d’admettre un Dieu qui n’est pas immuable, puisqu’il prend des initiatives et des décisions nouvelles au gré des

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