Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
apportées par les Académiciens ; elle est la connaissance d’un fait, d’une existence, non d’une essence. Chez Plotin elle est bien différente ; elle est la connaissance de l’essence intelligible des choses, identique à l’essence de l’intelligence ; se connaître, c’est connaître l’univers ; il s’agit non pas de se sentir vivre et exister, mais de connaître des réalités. Comme la connaissance de soi, la manière dont saint Augustin comprend la connaissance intellectuelle le distingue beaucoup de Plotin : le trait qui frappe saint Augustin, ce n’est point quelque propriété intrinsèque des choses intelligibles, c’est l’indépendance des vérités que nous concevons par rapport aux esprits individuels ; « tous ceux qui raisonnent, chacun avec leur raison et leur esprit, voient donc en commun la même chose, par exemple la raison et la vérité du p.515 nombre [731]. » Tel est le caractère purement extérieur qui démontre pour lui l’existence d’une réalité intelligible ; encore, ici, il s’agit de la disposition du sujet à l’égard des choses, non des choses mêmes.
C’est encore une forme du rationalisme hellénique que saint Augustin combat chez l’hérétique Pélage qui affirmait, avec les Stoïciens, que nos fautes comme nos mérites dépendent entièrement de nous. « Si le péché d’Adam, disait-il, nuit même à ceux qui ne pèchent pas, la justice du Christ devrait servir même à ceux qui ne croient pas. » Il ajoutait : « On ne peut accorder d’aucune manière que Dieu, qui nous remet nos propres péchés, nous impute ceux d’autrui [732]. » L’erreur importante pour saint Augustin est que cette thèse rend inutile la prière et, avec elle, toute vie religieuse ; elle nous écarte de Dieu en nous faisant chercher en notre volonté quel bien est nôtre, et quel bien ne vient pas de Dieu ; en faisant Dieu auteur de notre volonté, et en ajoutant que c’est nous-mêmes qui rendons notre volonté bonne, les Pélagiens devraient conclure que ce qui vient de nous, la volonté bonne, vaut mieux que ce qui vient de Dieu, la volonté tout court.
Ces quelques exemples suffisent à montrer quel accueil réservé trouvait la philosophie grecque dans les milieux latins ; un saint Ambroise (mort en 397), attaché à la discipline plus qu’à la doctrine, trouvait plutôt son modèle dans le traité Des Devoirs de Cicéron, qu’il imite dans le traité de même titre où il énonce les obligations des clercs ; auparavant Tertullien (160-245), se donnant comme fidèle gardien de l’orthodoxie, ne concédait de valeur qu’à la morale stoïcienne et accordait que « Sénèque est souvent nôtre » ; mais il était bien éloigné de faire une place à la machinerie métaphysique compliquée du néoplatonisme et même à l’éducation libérale grecque.
VII. — LE CHRISTIANISME EN ORIENT
AU IVe ET AU Ve SIÈCLE
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p.516 Il en était tout autrement en Orient, où la théologie « réservée au clergé, aux fonctionnaires et à la bonne société, tandis que le peuple vit d’un christianisme de second ordre, est tout à fait dans la tradition de l’aristocratisme hellénique [733] ». Aussi Eusèbe de Césarée (265-340), par exemple, dans sa Préparation évangélique , destinée à montrer comment le christianisme est susceptible d’une claire démonstration et n’est pas une foi aveugle, cite de copieux extraits des philosophes grecs, dont beaucoup ne nous sont connus que par lui. Plus tard, on voit Grégoire de Naziance (330-390) défendre l’éducation libérale des Grecs, c’est-à-dire les sciences, contre des chrétiens qui la jugeaient inutile [734] ; les allusions que l’on trouve aux écoles philosophiques dans ses Éloges de Césaire et de Basile prouve sa connaissance familière de la philosophie grecque [735]. Pourtant, dans le milieu des Cappadociens, Basile, Grégoire de Nysse (mort en 395), Grégoire de Naziance et aussi de saint Jean Chrysostome, les philosophes grecs restent « les sages du dehors » dont on se sert à l’occasion pour commenter l’Écriture [736].
Saint Jean Chrysostome ne cache pas « qu’il faudrait que nous n’eussions pas besoin du secours de l’écriture, mais que notre vie s’offrît si pure que la grâce de l’esprit remplaçât les livres dans nos âmes et s’inscrivît en nos cœurs comme l’encre sur les livres. C’est pour avoir repoussé la grâce qu’il faut
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