Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
employer l’écrit qui est une seconde navigation [737]. » De plus, dans les conflits sur la nature de la Trinité, qui mettent aux prises d’une part Arius et ses partisans qui soutiennent que le Fils est une création du Père, d’autre part les orthodoxes, saint Athanase p.517 et les Cappadociens qui admettent la consubstantialité des personnes, il semble bien que la question posée est tout à fait étrangère à la philosophie : les mots génération, procession, employés par les chrétiens pour désigner les rapports du Fils ou de l’Esprit au Père ne gardent en aucune manière le sens précis qu’ils ont chez Platon et les platoniciens ; ce sens, s’il était conservé, impliquerait une doctrine telle que l’arianisme, puisque c’est un principe absolu du néoplatonisme que la réalité qui procède est inférieure à celle dont elle procède. Mais la croyance à la divinité de Jésus-Christ vient s’opposer à ce principe et commander un dogme qui n’a plus la moindre racine dans la spéculation philosophique.
En d’autres milieux, pourtant, l’on voit le platonisme avoir un succès beaucoup plus grand ; il surabonde par exemple dans le traité de l’évêque d’Émèse, Némésius (vers 400) Sur la nature de l’homme . Pas trace d’inspiration chrétienne en cet ouvrage où cet évêque traite avec la liberté d’un philosophe, la question de l’union de l’âme et du corps, en se demandant comment deux réalités aussi distinctes peuvent former un seul être ; toute sa sympathie va à une doctrine qu’il donne comme celle d’Ammonius Saccas, maître de Plotin et qui, en tout cas, ressemble beaucoup à celle de Plotin lui-même ; cette doctrine compare l’âme à une lumière intelligible en laquelle baigne le corps ; on voit assez qu’elle suppose l’origine divine de l’âme, c’est-à-dire une des thèses qui a le plus éloigné les chrétiens de l’hellénisme [738].
Si l’on veut connaître les rapports des chrétiens instruits et des philosophes dans les milieux orientaux d’Égypte et d’Asie Mineure, vers le V e siècle, il faut lire le curieux dialogue d’Énée de Gaza (vers 500), Théophraste , où l’on voit un philosophe païen ; Théophraste, qui vient d’arriver d’Athènes à Alexandrie, discuter la thèse chrétienne de la résurrection des morts avec p.518 un certain Euxithéos de Syrie, un chrétien, qui a été l’élève du néoplatonicien Hiéroclès et qui se rend à Athènes pour étudier « auprès des philosophes » la question de la survivance de l’âme. Le point curieux est l’emploi de la dialectique philosophique par le chrétien Euxithéos pour défendre la thèse d’un monde créé et périssable et celle de la résurrection de la chair. Aux objections habituelles du Grec que nous avons déjà rencontrées plusieurs fois, il répond que Dieu, avant le commencement du monde, a été actif dans l’éternelle procession des personnes, que « les Chaldéens, Porphyre et Plotin » enseignent la création de la matière, que, suivant Platon, tout être sensible est créé. De plus le monde doit périr, puisque, selon le Timée , il le peut et puisque toute puissance doit passer à l’acte. D’ailleurs, Dieu fait périr le monde pour l’ordre, parce que l’ordre exige la production des contraires, donc celle du sensible qui périt en face de l’intelligible qui est éternel.
Pour la résurrection de la chair Euxithéos essaye d’en faire un dogme hellénique, non seulement en citant les faits de résurrection mentionnés par les Grecs, mais en s’appuyant sur la force de la raison séminale, assez puissante pour rassembler à nouveau les éléments du corps qui se sont désunis ; d’ailleurs l’âme peut-elle ne pas communiquer au corps son immortalité, comme le soleil communique sa chaleur à l’eau ?
Enfin vient Denys l’Aréopagite, ce personnage mystérieux, que l’on a pris pendant tout le moyen âge pour le compagnon de saint Paul ; il doit en partie à cette confusion l’extrême autorité qui s’attache à ses écrits, et l’on ne peut dire combien d’idées néoplatoniciennes passèrent, sous le couvert de son nom, dans la mystique chrétienne. En réalité, cité pour la première fois au concile de Constantinople (533), il ne peut avoir écrit qu’après Proclus (mort en 485) dont il subit l’influence. Ses écrits forment deux groupes : d’abord la Hiérarchie céleste [739]et la
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