Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
procession nécessaire des formes de la réalité les unes des autres. La vérité, c’est que le néoplatonisme chez Denys évolue exactement comme chez son contemporain Damascius : celui-ci, on l’a vu, déclare nettement que la procession des hypostases et la hiérarchie du supérieur à l’inférieur ne sont que des manières de parler bien inadéquates, quand il s’agit des premiers principes. Comme Denys aussi, il renonce à la déduction rationnelle pour faire appel à la tradition des Oracles chaldéens , lorsqu’il s’agit de déterminer la succession des formes de la réalité. Enfin la théologie négative de Denys est plus proche de celle de Damascius que de celle de Proclus ; au lieu d’accumuler les négations sur le premier terme de la série, le Bien ou l’Un, ils définissent l’un et l’autre un terme encore supérieur au Bien, que Damascius appelle l’Ineffable et dont Denys, citant le Parménide , dit qu’il n’y a ni discours, ni nom, ni connaissance [743].
Telle est donc la diversité des courants intellectuels dans le christianisme des premiers siècles ; de l’enseignement de saint Paul à l’œuvre de Denys l’Aréopagite, il y a la même distance que des proches de Musonius et d’Épictète à la métaphysique compliquée de Damascius : on ne peut dire qu’il y ait eu en cette période une philosophie chrétienne.
Bibliographie
@
III
M O Y E N Â G E
E T
R E N A I S S A N C E
@
CHAPITRE PREMIER
Les débuts du moyen âge
I. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
@
p.523 Vers le V e siècle, l’unité de la civilisation méditerranéenne est brisée en même temps que l’unité politique. Avec la destruction des villes qui marque l’invasion des Barbares dans tout l’Occident, les centres traditionnels de culture disparaissent ; avec la civilisation urbaine s’effondre cet enseignement sophistique qui avait donné son unité à la dernière période de l’antiquité.
Comment, jusqu’à l’époque carolingienne, les études purent-elles continuer en des conditions aussi déplorables ? Il faut ici rappeler un trait général à la fin de l’époque romaine : on recherche moins la culture intellectuelle proprement dite que le développement de la vie spirituelle, et à cet universel besoin correspondent moins les chaires de sophistique ou les chaires scientifiques à la manière du Musée d’Alexandrie, que ces conventicules spirituels que deviennent peu à peu les écoles philosophiques ; on les voit déjà naître chez Philon avec les Thérapeutes du lac Maréotis, et innombrables, dans le paganisme même, sont les communautés pythagoriciennes, hermétistes, platoniciennes : ajoutons que si, dans certains milieux comme celui de Plotin, la vie spirituelle reste encore hautement intellectuelle et si le besoin d’organisation rationnelle domine, dans d’autres elle tend à se transformer en une pure religion mystérieuse, avec ses formules, ses rites et ses sacrements.
p.524 Ce n’est donc pas par une révolution violente, mais selon une pente naturelle que tout ce qui restait de vie intellectuelle se réfugia dans les communautés chrétiennes et particulièrement dans les monastères, lorsque tout l’Occident devint chrétien.
Ainsi s’accomplit, presque invisible, un changement prodigieux ; la vie intellectuelle toute subordonnée à la vie religieuse, les problèmes philosophiques se posant en fonction de la destinée de l’homme telle que la conçoit le christianisme. La période où dure ce régime marquera les limites, naturellement un peu indécises, du Moyen Age intellectuel ; l’époque moderne commencera au moment où l’intelligence affirmera l’autonomie de ses méthodes et de ses problèmes : révolution si profonde que nous en voyons à peine aujourd’hui toutes les conséquences.
II. — ORTHODOXIE ET HÉRÉSIES AUX IVe ET Ve SIÈCLE
@
Il faut pourtant à cet égard, distinguer soigneusement l’Occident de l’Orient ; dans les grandes controverses religieuses qui marquèrent, en Orient, la fin de l’antiquité, on sent la même préoccupation métaphysique, le même souci de déterminer la structure intelligible des choses que dans le néoplatonisme du même temps ; tous ces débats peuvent se ramener soit à la question trinitaire et au rapport des hypostases entre elles, soit à la question christologique, c’est-à-dire au rapport du Verbe comme hypostase divine avec Jésus-Christ comme
Weitere Kostenlose Bücher