Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
la justice véritable, bien différente de la justice apparente, se réalise. Et, si l’on dit que cette vue sur la destinée suppose la négation de la liberté, inconciliable, croit-on, avec la prescience divine, Boèce répond d’abord avec Cicéron que la prescience ne prouve pas la nécessité des événements, et ensuite que nous avons tort de nous figurer la prescience de Dieu, qui vit et connaît dans un éternel présent, sur le type de nos raisonnements.
Livre émouvant, malgré son caractère factice, et qui restera longtemps comme un des seuls témoins d’une vie morale qui puise son inspiration ailleurs que dans les pouvoirs spirituels du jour : un des seuls, disons-nous, car le haut Moyen âge a aussi connu Lucain, Virgile et Cicéron.
Si l’on ajoute à ces ouvrages son traité de institutione arithmetica , imité de Nicomaque de Gerasa, et son de musica , on verra quel rôle a joué Boèce dans la transmission de la culture hellénique au Moyen âge occidental.
Après Boèce qui, sans être original, avait au moins le mérite d’aller aux sources et de traiter les questions à fond, on ne trouve plus que d’humbles compilateurs, attentifs à faire des extraits et des abrégés des anciens livres pour enseigner les clercs. Un de leurs modèles est Marcianus Capella, l’Africain, qui, vers la fin du V e siècle, avait écrit, sous le titre de Noces de Mercure et de la Philologie , un manuel dont chaque livre, du III e au IX e , est consacré aux sept sciences fondamentales. Cet auteur est lui-même un compilateur qui tient presque toute sa science de Varron. Le quatrième livre ( la Dialectique ), qui débute par un éloge du fameux érudit latin, fait connaître au Moyen âge les « cinq voix », genre, espèce, différence, propre et accident, les dix catégories, les oppositions, les propositions, les syllogismes ; le sixième contient surtout une longue p.532 description de la terre empruntée à Pline l’Ancien, et de maigres détails venus des Éléments d’Euclide. Le septième laisse voisiner une fantastique arithmologie symbolique avec quelques théorèmes positifs.
Cassiodore (477-575), un ami de Boèce qui passa au monastère de Vivarium une partie de sa longue vie, se donne surtout pour tâche de réunir et de transmettre cette science disparate ; il écrit les Institutiones divinae , encyclopédie théologique, les Saeculares lectiones où il enseigne les arts libéraux ; mais, au premier de ces ouvrages, il déclare que la connaissance des arts libéraux a son origine dans la Bible et qu’il faut la ramener au service de la vérité. Il nous donne pour l’essentiel la grammaire de Donat, la rhétorique de Cicéron commentée par Marius Victor et de Quintilien, une dialectique qui ne va plus loin que celle de Marcianus Capella, un résumé de l’arithmétique de Boèce et des éléments d’Euclide.
Son traité de Anima vient de saint Augustin et de Claudien Mamert. L’auteur a conscience de la dualité d’inspiration qui, sur la nature de l’âme, oppose la philosophie et la religion. Les « maîtres des lettres séculières » définissent l’âme « une substance simple, une forme naturelle, différente de la matière de son corps, possédant l’usage des organes et la vertu de la vie ». Mais, d’après « l’autorité des docteurs véridiques », elle est « créée par Dieu, spirituelle, substance proprement dite, cause de vie pour le corps, raisonnable et immortelle, et capable de se tourner au bien et au mal. » De même il sait distinguer les preuves de l’immortalité d’après les lettres séculières (ce sont essentiellement celles du Phédon ), et la preuve, bien plus facile, par les « autorités véridiques » (c’est que l’âme est faite à l’image de Dieu). Enfin, à propos de la connaissance du mal chez les hommes, il fait mention des philosophes « qui ne suivent pas la loi du créateur, mais plutôt l’erreur humaine [751] ».
IV. — LA RAISON ET LA FOI
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p.533 Dans de pareilles conditions, la question des rapports de la raison et de la foi se pose d’une manière qui n’est pas simple. Une institution comme l’Église n’est pas un ensemble de vérités spéculatives sur lesquelles la foi ou la raison peuvent être en accord ou en conflit ; elle s’impose d’abord au même titre qu’une constitution politique ou que des règles juridiques : c’est une cité spirituelle, que l’augustinisme pense
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