Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
monde et le dieu ailé Phanès, n’a rien qui la distingue des autres.
Mais, prises dans l’ensemble, les théogonies d’Eudème offrent un trait remarquable, c’est la place qu’elles font à des formes mythiques telles que Chronos, le Temps, ou Adrastée, c’est-à-dire à ces formes mi-abstraites qui désignent une loi ou une règle ; ce sont elles que nous avons vu intervenir sous le nom de Justice dans les cosmogonies ioniennes. D’autre part, il semble que ces cosmogonies se cantonnent peu à peu dans les groupes religieux orphiques et forment corps avec l’ensemble de leurs croyances sur l’origine et la destinée des âmes. C’est par Platon lui-même que nous connaissons ces croyances : l’âme prisonnière dans le corps comme en un tombeau doit après la mort prendre place en un banquet où elle s’enivre éternellement [57]. L’on a découvert dans des tombeaux de Grande-Grèce, à Thurioi, à Pétélia, à Éleutherne, des tablettes d’or que les initiés aux mystères orphiques faisaient placer dans leurs tombeaux, et sur lesquelles sont gravés, comme dans un livre des morts égyptien, des recommandations sur l’itinéraire que doit suivre l’âme après la mort et les formules qu’elle doit prononcer ; ces tablettes, qui sont du II e siècle avant notre ère, montrent combien cette croyance persista. C’est au cycle de mythes orphiques et au cycle dionysiaque que se rattache la légende, d’âge incertain, de l’origine divine de l’homme [58] ; les Titans, ennemis de Zeus, sont poussés par Héra à faire périr son fils Dionysos ; Dionysos est déchiré par eux, et ils en mangent les membres sanglants, sauf le cœur qui est avalé par Zeus et d’où renaîtra un nouveau Dionysos ; Zeus foudroie alors les Titans ; de leur cendre naît la race humaine où le bien, qui vient de Zeus, est mêlé au mal, à l’élément titanique. Le poète Pindare, qui fleurit en 478, nous est un témoin de l’extension qu’ont prise de bonne heure, ces croyances orphiques. p.50 « Le corps de tous cède à la mort toute-puissante, mais, vivante encore, reste une image de notre être ; car seule elle vient des dieux [59]. » Nous allons retrouver ces croyances chez les philosophes ; mais ce sera loin de l’Ionie.
III. — LES PYTHAGORICIENS
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A partir de 494 (date de la destruction de Milet), avec l’école milésienne, disparaît momentanément toute trace de la physique ionienne. La vie intellectuelle s’était déjà d’ailleurs transportée dans les florissantes colonies de la Grande-Grèce et de la Sicile. Plusieurs des hommes qui s’y font connaître, viennent pourtant d’Ionie. Pythagore est né à Samos, Xénophane à Colophon. Et ce sont eux qui donnent chacun l’impulsion dans les colonies d’Italie à un mouvement d’idées important, à la philosophie des nombres d’une part, à l’éléatisme d’autre part, qui, l’une et l’autre, vont dominer tout le développement ultérieur des idées.
Le pythagorisme n’est pas seulement un mouvement intellectuel, mais un mouvement religieux, moral et politique, aboutissant à la formation d’une confrérie qui cherche à faire de la propagande et à s’emparer du pouvoir dans les cités de la Grande-Grèce. De ce mouvement très complexe, il est difficile de se faire une idée exacte : d’abord la vie de Pythagore lui-même n’est connue qu’au travers de légendes qui se sont formées dès les premières générations ; de plus, l’histoire du pythagorisme est composée de deux périodes très distinctes, dont la première a duré depuis la fondation de l’école à Crotone (vers 530) jusque vers la mort de Platon (350), et la seconde, celle du néo-pythagorisme, a débuté vers le 1 er siècle de notre ère. Or, même en admettant que l’on puisse faire le départ entre p.51 les doctrines du premier âge et celles du second (ce qui est difficile puisqu’on doit souvent utiliser des textes datant du nouveau pythagorisme pour connaître l’ancien), les doctrines attribuées en bloc aux pythagoriciens du premier âge contiennent de si flagrantes contradictions qu’il est bien impossible de les attribuer au seul Pythagore, et que l’on doit se contenter de les classer sans pouvoir déterminer ni leurs liens ni leurs auteurs.
Pythagore fonde une association religieuse à Crotone vers 530. Il n’y a là rien de remarquable ; des associations de ce genre, comme celles des orphiques, existaient
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