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Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Titel: Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Émile Bréhier
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seulement aux mots en tant qu’ils signifient les choses. D’où la solution, toute imprégnée d’Aristote, du problème des universaux : le genre et l’espèce n’existent qu’à titre de prédicats essentiels à l’individu. « Individus, espèce et genre, c’est la même réalité ( eadem res ), et les universaux ne sont point, comme on le dit parfois, chose différente des individus. » Et l’on entend comme un écho de la pensée d’Aristote, par l’intermédiaire de Boèce, dans ces paroles que le genre est à l’espèce, et l’espèce à l’individu, comme une matière à une forme.
    La controverse sur l’Eucharistie, qui eut lieu au milieu du XI e siècle, met aussi en jeu la portée de la dialectique. Paschase Radbert (mort vers 860) avait enseigné que, dans la consécration, « par la vertu de l’Esprit, de la substance du pain et du vin se font le corps et le sang du Christ ». Cette théorie de la transsubstantiation impliquait d’abord un Dieu p.553 tout-puissant dont la volonté n’est tenue par aucune règle naturelle, en second lieu une radicale indépendance de ce que les yeux perçoivent par les sens, et l’intelligence par la foi, puisque « dans l’espèce visible est saisi par l’intelligence autre chose que ce qui est senti par la vue et par le goût ». Bérenger de Tours ne songe nullement à nier que l’Eucharistie soit un sacrement, au sens que saint Augustin donne à ce mot, c’est-à-dire un signe sacré qui nous fait aller au-delà de l’apparence sensible jusqu’à une réalité intelligible ; et il faudrait se garder de faire de lui un rationaliste, négateur de la foi. Mais, imbu de l’enseignement dialectique de Fulbert de Chartres, il ne peut arriver à penser la transsubstantiation ; elle implique que l’on affirme et que l’on nie à la fois que le pain et le vin sont sur l’autel après la consécration ; « or, une affirmation ne peut être maintenue tout entière, si on en supprime une partie » [762] La question est implicitement posée : avons-nous le droit de nous contredire, en formulant les dogmes ?
    Les nombreuses réfutations que s’attira Bérenger souffrent toutes de la même ambiguïté. D’une part on lui dit que la dialectique ni la philosophie n’ont rien à voir dans l’établissement d’un dogme. Mais, d’autre part, on s’efforce de lui montrer qu’il n’y a pas de réelle contradiction à affirmer la transsubstantiation. La lettre de son condisciple de Chartres, Adelmann de Liège, est caractéristique de la première manière : elle serait à citer tout entière pour son âpreté contre la philosophie : « Certains gentils et nobles philosophes ont eu bien des opinions fausses et méprisées à bon droit non seulement sur Dieu le créateur, mais sur le monde et ce qui est en lui. Quoi de plus absurde que d’affirmer que le ciel et les astres sont immobiles et que la terre tourne sur elle-même d’un mouvement de rotation rapide et que ceux qui croient au mouvement du ciel se trompent comme les marins qui voient s’éloigner d’eux les tours p.554 et les arbres avec leurs rivages ? » [763] Cette vieille opinion d’Héraclide, que le XI e siècle connaissait par le Commentaire de Timée de Chalcidius, est mise d’ailleurs par lui sur le même pied que l’opinion de ceux qui croient que « le soleil n’est pas chaud, et que la neige est noire ». A plus forte raison, en matière de dogme, ni les sens ni l’intelligence ne peuvent nous permettre de saisir ce que l’on ne saisit que par une vertu issue de la grâce, par la foi.
    Alger de Liège, qui écrit vers la fin de la controverse, se place, lui aussi, au point de vue de l’autorité : la question doit être résolue « non par la raison humaine, tout à fait incompétente, mais par les témoignages du Christ même à l’égard de ses saints ». Et il explique le rapport de la raison à la foi par la comparaison suivante : notre intellect est, à l’égard de Dieu, comme nos sens à l’égard de l’intelligence ou comme chaque sens à 1"égard de chaque autre, c’est-à-dire incapable de comprendre, mais tenu de croire ce qu’il ne comprend pas. On ne peut guère affirmer d’une manière plus radicale la discontinuité foncière de l’esprit. Et pourtant le même Alger, à la fin de son traité, veut montrer qu’il n’y a pas de contradiction dans la transsubstantiation ; ce n’est pas sous le même rapport qu’on

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