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Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Titel: Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Émile Bréhier
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changeant ; le temps déplace les choses, comme un enfant qui joue aux dames ; le jeune devient vieux ; la vie cède la place à la mort, la veille au sommeil. Les choses froides deviennent chaudes ; ce qui est humide se sèche [80].
    Le quatrième thème est une sorte de vision ironique des contrastes, un renversement qui nous révèle dans les choses l’opposé de ce que nous y voyions d’abord. Pour les porcs, la fange vaut plus que l’eau limpide, et pour les ânes, la paille est supérieure à l’or ; l’homme le plus sage, vis-à-vis de Dieu, n’est qu’un singe ; l’eau de la mer est la plus pure et la plus impure, salutaire aux poissons, funeste aux hommes [81].
    Ces thèmes, certes, sont parents entre eux : les opposés ne peuvent se maintenir que grâce à l’unité qui les enveloppe et les limite l’un par l’autre. Toutes les intuitions d’Héraclite tendent vers une doctrine unique et d’une singulière profondeur ; tous ses contrastes se retrouvent dans un contraste unique : le permanent ou Un et le changeant ne sont pas exclusifs l’un de l’autre ; c’est tout au contraire dans le changement même, dans la discorde, mais dans un changement mesuré et dans une discorde réglée que se trouvent l’Un et le permanent [82]. Héraclite a eu l’intuition que la sagesse consiste à découvrir la formule générale, le logos de ce changement. Parmi ces régularités, une des principales concerne les changements périodiques du temps, qui ramène, après un cycle toujours pareil, les jours, les mois, les années ; s’inspirant de traditions fort anciennes qui remontent à la civilisation babylonienne, Héraclite s’efforça de déterminer p.59 une grande année qui fût, à la vie du monde, ce qu’une génération est à la vie humaine [83]. La fin de cette grande année était marquée, si l’on en croit des documents postérieurs, par une conflagration universelle ou résorption de toutes choses en feu, après laquelle le monde renaissait du feu ; mais peut-être est-ce là une fausse interprétation d’Héraclite par les stoïciens ; sans doute, pour lui, tout se transforme en feu ; mais à tout moment cette transformation est équilibrée par une transformation inverse du feu dans les autres choses, le « chemin du haut », la conflagration, est identique au « chemin du bas » ou extinction du feu en air ; en même temps, « il se disperse et se rassemble, il avance et se retire [84] ».
    La sagesse d’Héraclite n’a pour le vulgaire que mépris : mépris d’abord pour la religion populaire, pour la vénération des images et particulièrement pour les cultes mystérieux, orphiques ou dionysiaques, avec leurs ignobles purifications par le sang, pour les traficants de mystères qui entretiennent l’ignorance des hommes sur l’au-delà ; mépris aussi de ce noble, né d’une famille où le titre de roi était héréditaire, pour l’incapacité politique de la foule, qui chassait les meilleurs de la cité. Sans doute son Dieu était-il la réalité même du monde, « qui ne veut pas et qui veut être appelé du nom de Zeus », qui est jour et nuit, hiver et été, et prend des formes variées. L’unité de Dieu, au début de la pensée grecque, est comme un reflet de l’unité du monde [85].
    Du succès de l’héraclitéisme au courant du V e siècle et au début du IV e , il nous reste deux échos : d’abord le traité Sur le Régime, conservé dans la collection des œuvres attribuées à Hippocrate, puis la peinture d’ensemble, si palpitante de vie, que Platon fait des mobilistes de son temps dans le Cratyle et p.60 le Théétète . Le traité médical applique à la théorie de la santé la doctrine cosmologique d’Héraclite ; c’est l’harmonie du tout, c’est-à-dire l’ajustement des deux forces opposées, le feu moteur et l’eau nourrissante, qui constitue la santé. Nous verrons d’ailleurs dans la suite qu’il n’est pas une doctrine cosmologique qui ne soit en même temps médicale ; l’idée que l’homme est un microcosme est dans ce temps, une des plus banales et répandues qui soient. Notre médecin héraclitéen accumule, non sans virtuosité de style, tous les paradoxes du maître : « Tout est semblable, étant dissemblable ; tout identique, étant différent ; tout en relation et sans relation ; tout intelligent et sans intelligence [86]. » Quant à ceux dont nous parle Platon, c’est-à-dire son

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