Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
1327 par le pape Jean XXII. Même protestation pourtant chez lui d ’ attachement à la foi : p.686 « Il est certain que l ’ autorité divine doit faire foi plus que n ’ importe quelle raison d ’ invention humaine » [857] . Il veut soutenir des opinions de foi contraires à la raison, « en accordant comme possible auprès de Dieu ce que tous nos raisonnements nous conduisent à déclarer impossible » . Il est donc amené logiquement à une sorte de fidéisme. « J ’ affirme la vérité de tous ces dogmes, dit-il en parlant des dogmes contredits par Aristote, mais je ne sais pas les démontrer ; tant mieux pour ceux qui le savent ; mais je les tiens et les confesse par la foi seule. » Nous retrouverons plus tard l ’ averroïsme qui jouera un grand rôle à la Renaissance.
XIV. — POLÉMIQUES RELATIVES AU THOMISME
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La condamnation portée par Tempier en 1277 marquait une grande inquiétude causée non seulement par l ’ averroïsme, mais par le péripatétisme en général. Saint Thomas, sans doute, compris de son propre point de vue, était l ’ adversaire des averroïstes ; toute sa théorie de l ’ intellect n ’ est qu ’ une longue réponse à l ’ averroïsme, et le De Unitate intellectus contra Averroistas a peut-être été écrit en 1270 pour réfuter Siger. Mais, vue de l ’ extérieur, sa philosophie était péripatéticienne, et il était bien difficile de voir exactement où s ’ arrêtait le danger de l ’ aristotélisme importé à l ’ Université de Paris. Aussi certaines des 219 propositions condamnées visent non pas Siger lui-même, mais bien les innovations du thomisme : impossibilité de la pluralité des mondes (27), individuation par la seule matière (42-43), nécessité, pour la volonté, de poursuivre ce qui est jugé bon par l ’ intellect (163), voilà quelques unes des thèses thomistes qui paraissaient suspectes. Saint Thomas rencontrait des contradicteurs dans son ordre même : les p.687 dominicains qui l ’ avaient précédé à l ’ Université de Paris, Roland de Crémone et Hugues de Saint-Cher, étaient augustiniens. Un de ses plus ardents adversaires fut le dominicain Robert Kilwardby qui, maître de théologie à l ’ Université d ’ Oxford de 1248 à 1261 et archevêque de Canterbury en 1272, enseignait les idées de saint Bonaventure sur la matière et la forme ; il soutenait que la matière contient les raisons séminales qui expliquent la production des choses ; et contrairement à la thèse de l ’ unité de la forme, il enseignait que l’âme n ’ était pas simple mais composée des parties végétative, sensitive et intellectuelle. Aussi fit-il condamner à Oxford en 1277 la thèse de l ’ unité de la forme : condamnation qui fut répétée à plusieurs reprises par son successeur au siège de Canterbury, le franciscain Jean Peckhâm. Celui-ci condamne en bloc toute la philosophie nouvelle, dans une lettre de 1285 où il réprouve « les nouveautés profanes du vocabulaire, introduites depuis vingt ans dans les profondeurs de la théologie contrairement à la vérité philosophique, et en injure aux saints » . Et il cite notamment l ’ abandon de la doctrine augustinienne « des règles éternelles et de la lumière immuable, des puissances de l ’ âme, des raisons séminales insérées dans la matière et quantité d ’ autres » . Le passage vise évidemment les thèses correspondantes du thomisme : l ’ intellect agent, l ’ unité des formes, la théorie de l ’ éduction des formes.
XV. — HENRI DE GAND
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Sous ces sèches formules, il faut bien saisir les deux visions de l ’ univers qui s ’ opposent : d ’ une part l ’ univers augustinien où la raison est déjà une illumination, où l ’ être déjà informé aspire à de nouvelles formes, où la matière est grosse des déterminations que va engendrer la forme : d ’ autre part l ’ univers péripatéticien où toute connaissance intellectuelle est p.688 abstraction, où l ’ individu est complet par lui-même, où la matière attend passivement la forme. L ’ augustinisme antithomiste est particulièrement représenté à Paris par le maître séculier Henri de Gand, le doctor solemnis , maître de théologie à Paris en 1277 et mort en 1293. Contrairement à ce principe péripatéticien : la forme donne l ’ être à la matière, il admet que la matière existe par soi et subsiste en acte ;
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