Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
ombre n ’ y fasse obstacle » ; propagation sphérique et vitesse infinie arrêtée dans son expansion par l ’ obscurité, Robert ne demande pas autre chose pour l ’ explication du cosmos et de ses sphères. « Tout est un, issu de la perfection d ’ une lumière unique, et les choses multiples ne sont multiples que grâce à la multiplication de la lumière même. »
Mais il faut saisir le noyau positif que contiennent ces aventureuses recherches : c ’ est en effet au sein de cette métaphysique de la lumière que prend naissance la physique mathématique de la nature : l ’ optique est inséparable de la considération des lignes, des angles et des figures qui se réalisent en quelque sorte dans la propagation de la lumière ; et cette ébauche de physique mathématique aboutit à affirmer l ’ existence d ’ un ordre rigoureux et rigoureusement concevable par l ’ esprit dans la nature :« Toute opération de la nature s ’ accomplit de la manière la plus déterminée ( modo finitissimo ), la plus ordonnée, la plus brève et la plus parfaite possible » [860] .
p.693 De l ’ école de Robert Grosseteste sort une Summa philosophiae qui comprend 19 traités dont les sujets vont de l ’ histoire de la philosophie à la minéralogie. Malgré le fantastique de cette histoire où, avec Isidore, Bérose, Josèphe et saint Augustin, l ’ auteur voit les premiers philosophes en Abraham, Atlas et Mercure, il fait pourtant preuve d ’ esprit critique en relevant la manière dont les traducteurs arabes en ont pris à leur aise avec le texte d ’ Aristote, lui faisant citer Ptolémée dans le De Coelo , ou le montrant dans les Météores s ’ adressant à l ’ empereur Hadrien. Il nous dit aussi que, en matière de choses naturelles indifférentes au salut, les théologiens ont pu se tromper. Dans les questions métaphysiques, la Somme est défavorable au thomisme ; il refuse, avec presque tous les augustiniens, d ’ admettre l ’ existence de ces espèces intelligibles que saint Thomas déclarait indispensables à la connaissance intellectuelle (p. 298) ; l ’ essence de la chose s ’ unit à l ’ intellect sans aucun intermédiaire ;« sans quoi ce ne seraient pas les essences mêmes, mais leurs images qui mettraient l ’ intellect en mouvement, et ce seraient plutôt leurs images ( idola ) que les formes mêmes qui seraient comprises » . Il maintient aussi la tradition augustinienne dans la question de la connaissance de l ’ intellect par lui-même :« L ’ âme, en se comprenant, ne reçoit pas sa propre espèce, mais a plutôt l ’ intuition ( contueri ) d ’ elle-même » (p. 463). Comme au caractère intuitif de la connaissance intellectuelle des essences des choses ou de nous-mêmes, il est attaché à l ’ idée que l ’ âme intellectuelle est individuelle par elle-même, même sans relation au corps.
XVIII. — ROGER BACON
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Mais le plus remarquable des Oxfordiens est Roger Bacon, le doctor mirabilis , chez qui l ’ on voit un esprit fougueux, ardent, indomptable, qui se traduit dans sa vie comme dans p.694 ses écrits ; nul moins que lui n ’ a ménagé l ’ ignorance et la fatuité des « philosophes parisiens » , et en particulier leur négligence en matière d ’ études du langage, des mathématiques et des sciences de la nature. Né entre 1210 et 1214, il avait d ’ab ord été à Oxford l ’ élève de Robert Grosseteste à qui il témoigna toujours la plus vive admiration ; il séjourna à Paris de 1244 à 1252 ; entré dans l ’ ordre des Franciscains et revenu à Oxford, il composa de 1266 à 1268 l ’ Opus majus , divisé en sept parties se rapportant aux causes de l ’ ignorance humaine, aux rapports de la philosophie et de la théologie, à la science des langues, à l ’ utilité des mathématiques dans la physique, l ’ astronomie, la réforme du calendrier et la géographie ; à l ’ optique, à la science expérimentale et à la philosophie morale. Cet ouvrage, écrit sur une demande faite par le pape Clément IV en 1268, fut composé en même temps que deux autres ouvrages qui contenaient des travaux préliminaires : l ’ Opus minus et l ’ Opus tertium . En 1278, Roger Bacon écrivit dans le Speculum astronomiæ (faussement attribué à Albert le Grand) une défense de l ’ astrologie judiciaire ; il y mettait en question la condamnation de l ’ astrologie, prononcée dans la 170 e
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