Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
changement universel ; là aussi, il faut « choisir et arrester » , et c ’ est l ’œu vre non pas d ’ une raison qui nous fait prendre pied en un monde divin, mais d ’ une réflexion sur soi, sincère, attentive et prolongée.
Ce même scepticisme actif a été soutenu, avec moins d ’ éclat, par le médecin François Sanchez, dans son Quod nihil scitur (1581). Ce bréviaire du scepticisme où il accumule les arguments contre l ’ existence d ’ une science parfaite et complète (les choses sont tellement enchaînées que la connaissance complète de l ’ une d ’ elle impliquerait la connaissance du tout , qui nous est inaccessible) contient en revanche des conseils positifs pour atteindre ce que l ’ homme peut savoir des choses : « il ne faut pas se tourner vers les hommes et leurs écrits , ce qui est abandonner la nature, mais avant tout, se mettre par l ’ expérience au contact avec les choses » [899] .
IX. — MORALISTES ET POLITIQUES
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p.766 Les conditions du développement de la vie intellectuelle amenèrent au XV I e siècle une renaissance du stoïcisme : les auteurs anciens que l ’ on lisait avec le plus de passion, Cicéron, Sénèque et même Plutarque, étaient pénétrés de ce stoïcisme populaire qui vise plus à la direction de conscience qu ’ à l ’ exposé d ’ une doctrine philosophique raisonnée. Pourtant, on peut à peine dire qu ’ il s ’ agit alors d ’ une renaissance, puisqu ’ un fond d ’ idées stoïciennes, plus ou moins méconnues, n ’ avait jamais disparu pendant toute la période médiévale : faut-il rappeler le stoïcisme de saint Ambroise, qui a conservé, comme fin des biens, l ’ accord avec la nature et l ’ accord avec soi [900] ; et combien les manuels de morale, tels que ceux d ’ Alcuin [901] , d ’H ildebert de Lavardin [902] et tant d ’ autres ont suivi Sénèque et Cicéron dans leurs définitions des vertus et des vices et dans leur conception de l ’ honnête. La morale de Roger Bacon n ’ est-elle pas d ’ un bout à l ’ autre inspirée de Sénèque ? La morale stoïcienne a pu se juxtaposer à la vie proprement chrétienne ; mais le christianisme n ’ a jamais pu ni l ’ absorber, ni la remplacer ; c ’ est cette indépendance dont les Stoïciens de la Renaissance prennent conscience, sans aucune hostilité au christianisme d ’ ailleurs ; et au contraire, ce néostoïcisme s ’ efforce d ’ accorder la doctrine stoïcienne avec la vie chrétienne. Ce n ’ était pas sans protestation de la part d ’ un Calvin qui, au contraire, défend ardemment la doctrine chrétienne contre le reproche de stoïcisme ; il voit avec horreur la confusion que commettent « malicieusement » ses ennemis entre la prédestination et le fatum des stoïques, c ’ est-à-dire « une nécessité laquelle soit contenue en nature par une conjonction p.767 perpétuelle de toutes choses » ; et il y a grande différence entre le chrétien qui porte la croix et le sage stoïque qui semble « être du tout stupide et ne sentir douleur aucune » [903] .
Il n ’ en est pas moins vrai que, dans la seconde partie du XV I e siècle surtout, beaucoup d ’ esprits font leur nourriture des œu vres morales de Cicéron, de Marc Aurèle et beaucoup plus encore de Sénèque et d ’É pictète ; tous leurs livres sont traduits en français, médités, commentés, imités. Ces ouvrages, procédant par images et par préceptes, qui s ’ impriment dans l ’ âme par une sorte de nécessité immédiate et sans démonstrations, qui correspondent au besoin de réconfort ou de consolation, ont un succès sans précédent. Ils habituent l ’ esprit à faire comme un départ entre la fin surnaturelle de nos actions que la révélation seule peut faire connaître et la direction effective de notre conduite. « Combien qu ’ iceluy M. T. Cicéron et tous les autres Philosophes païens aient erré par la déconnaissance de la fin d ’ icelles bonnes œuvres, néanmoins les chrétiens y peuvent apprendre et recueillir des doctrines profitables » [904] .
Mais c ’ est la doctrine stoïcienne tout entière, avec sa métaphysique, que l ’ érudit de Louvain Juste Lipse s ’ efforce de faire connaître. Les excellents petits livres, où il a réuni et classé ce que l ’ on pouvait savoir de son temps sur les Stoïciens ( Manuductio ad Stoicam philosophiam , 1603, et Physiologia Stoicorum )
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