Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
principalement par Sénèque, sont précédés d ’ une préface où l ’ auteur a soin de nous avertir :« Que personne avec les Stoïciens, ne place la fin des biens ou le bonheur dans la nature à moins d ’ entendre par la nature Dieu lui-m ême. » On peut dire que c ’ est grâce à l ’ inspiration de Sénèque qu ’ il a pu nier dans le stoïcisme tout ce qu ’ il pouvait avoir de choquant pour la conscience chrétienne : Sénèque lui dira par exemple que le destin p.768 n ’ est que la volonté de Dieu lui-m ême et que Dieu est libre « puisqu ’ il est lui-m ême sa propre nécessité » .
On voit toute la portée pratique de ce néostoïcisme dans la vie et les œu vres de Guillaume Du Vair (1556-1621) ; d ’ une famille de magistrats, après avoir été fort suspect à la Ligue, il devint avec l ’ avènement de Henri IV maître des requêtes au Parlement de Paris, puis premier président du parlement d ’ Aix. Son stoïcisme n ’ est point, comme il semble l ’ avoir été souvent à cette époque, celui d ’ un résigné qui puise seulement dans ses lectures la force de se soumettre à l ’ inévitable ; il est (et c ’ est là le véritable stoïcisme, celui d ’ Épictète) tout tendu vers l ’ action ; son Traité de la Constance et Consolation ès Calamitez publiques , écrit en 1590, pendant le siège de Paris par le Béarnais, alors qu ’ il soutenait, au péril de sa vie, la cause du roi légitime, est tout animé du désir de « servir la patrie » , de guérir la France de tous ses maux, le luxe de la noblesse, la simonie de l ’Église, la perversion de la justice.
Ce néostoïcisme qui naît du désir d ’ une direction de conscience, est fort différent (et il y a là une sorte de paradoxe de l ’H istoire) de ce naturalisme stoïcien qui alimente l ’ esprit des libres penseurs comme les Padouans ou les platoniciens de la fin de la Renaissance. Le sentiment de spiritualité, qui anime les stoïciens dont nous venons de parler, reste indépendant de telle ou telle conception de l ’ univers ; il concerne uniquement le for intérieur de l ’ homme, et, détaché de toute vision panthéiste du monde, il est au contraire tout prêt à se lier avec la spiritualité platonicienne, dont nous avons déjà indiqué la place. Il est intéressant de voir que la Constance de du Vair se termine par les paroles du président de Thou à son lit de mort, au sujet de la connaissance de soi : « Il faut des discours, dit-il, pour connaître les choses dont les formes sont noyées en la matière : ... mais vouloir comprendre la nature de notre âme de cette façon, c ’ est ne la pas vouloir connoistre. Car estant simple comme elle est, il faut qu ’ elle entre toute nue en notre p.769 entendement, ayant à remplir toute la place ; tout ce qui l ’ accornpagneroit, l ’ empescheroit... Et pour ce, le vray moyen de connoistre la nature de nostre âme, c ’ est de l ’ élever par dessus le corps et la retirer toute à soy ; afin que réfléchie en soy-mesme, elle se connoisse par soy-mesme » [905] . Ce stoïcisme, affirmation de l ’ indépendance du moi, glisse vers le spiritualisme, affirmation de l ’ autonomie de l ’ esprit dans la connaissance qu ’ il a de lui-m ême.
Du stoïcisme, il reste, même chez les moralistes qui ne sont pas à proprement parler des stoïciens, une tendance à trouver la source de nos maux dans un jugement mal réglé et qu ’ il dépend de nous de réformer. Cette idée d ’ Épictète, que l ’ on trouve si parfaitement exprimée chez Du Vair (« car notre volonté a la force de disposer nostre opinion tellement qu ’ elle ne preste consentement qu ’ à ce qu ’ elle doit..., qu ’ elle adhère aux choses évidemment vraies, qu ’ elle se retienne et suspende ès douteuses, qu ’ elle rejette les fausses » [906] fait aussi le fond de la Sagesse , de Pierre Charron (1603), si forte d ’ ailleurs que soit en ce livre l ’ influence de Montaigne. Si Charron se garde de donner au mot sagesse le « sens hautain et enflé des théologiens et philosophes qui prennent plaisir à descrire et faire peinture des choses qui n ’ ont pas encore esté veues, et les relever à telle perfection que la nature humaine ne s ’ en trouve capable que par imagination » (préface), il n ’ en est pas moins vrai qu ’ il exige comme conditions de la sagesse, « l ’ affranchissement des erreurs
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