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Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Titel: Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Émile Bréhier
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desesperer, ny aussi peu mon impuissance, car ce n ’ est que la mienne.  »
    La science dont il ne veut pas, c ’ est celle qui prétend partir de principes fixes  : de cette science il dit  :«  Si (l ’ homme) advouë l ’ ignorance des causes premières et des principes, qu ’ il me quitte hardiment tout le reste de sa science  : si le fondement lui faut, son discours est par terre.  » Le critique de Montaigne ne porte donc pas sur les résultats positifs des sciences, mais sur leurs prétendus principes et sur l ’ assurance de ceux qui « procèdent d ’ une troigne trop impérieusement magistrale  » (III, 8).
    C ’ est que l ’ univers de Montaigne, si l ’ on peut ainsi parler, est aussi divers et varié que l ’ image traditionnelle du monde, léguée par l ’ antiquité, était une et monotone  : plus rien de cette analogie universelle qui dominait la conception des choses. «  Le monde n ’ est que variété et dissemblance  » ( II, 2 ). « Il n ’ est aucune qualité si universelle en cette image des choses que la diversité et variété... La ressemblance ne faict pas tant un, p.764 comme la différence faict autre ( III, 13 ). Encore ne faut-il pas affirmer trop absolument cette diversité  : l ’ expérience nous fait voir aux nouvelles Indes, chez des «  nations n ’ ayant jamais ouy nouvelle de nous  » des usages et des croyances étrangement semblables à ceux des nations chrétiennes ( II, 12 ). Y a-t-il donc un fonds naturel commun  ? Que non pas ! Car il s ’ agit de croyances «  qui par aucun biais ne semblent tenir à nostre naturel discours  » . Ces ressemblances étonnent plus qu ’ elles ne rassurent  :«  C ’ est un grand ouvrier de miracles que l ’ esprit humain.  »
    Nulle nature unique et permanente au fond des choses. La nature humaine que les Stoïciens recommandent de suivre, n ’ est rien qu ’ on puisse connaître  ; sans doute «  il est croyable qu ’ il y a quelques lois naturelles, comme il se voit ès autres créatures  ; mais en nous, elles sont perdues, cette belle raison humaine s ’ ingérant par tout de maistriser et commander, brouillant et confondant le visage des choses selon sa vanité et inconstance  » ( II, 12 ).
    Dans ces conditions, le savoir doctrinal des savants de profession tire sa fixité non pas de la connaissance de la nature, mais de ceux qui veulent en «  establir leur fondamental   suffisance et valeur  » . Cela n ’ empêche que «  en son vray usage, il est le plus noble et puissant acquist des hommes... chose de tres-noble et tres-pretieux usage, qui ne se laisse pas posséder  à vil prix  » ( III, 8 ). Et voilà peut-être la véritable découverte de Montaigne  : la science par elle-même ne fait pas pénétrer l ’ homme dans une région divine et supérieure à l ’ humanité  ; elle tire sa valeur non de son objet, mais de son usage  ; peu importe la vantardise d ’ un chirurgien qui raconte ses guérisons «  s ’ il ne sçait de cet usage tirer de quoy former son jugement  » . La valeur de la science vient de la valeur de l ’ homme qui la domine et qui l ’ emploie. Et c ’ est pourquoi Montaigne a comme perpétuel sujet d ’ étude l ’ homme, non pas la nature humaine universelle qui se dérobe, non pas l ’ homme sauvé par p.765 la grâce de Dieu, mais l ’ homme tel qu ’ il le trouve en lui « sans secours estranger, armé seulement de ses armes et desgarny de la grace et cognoissance divine  » ( II, 12 ). De là l ’ entreprise des Essais , dont le caractère méthodique se précise à mesure qu ’ il les écrit  :«  J ’ ose non seulement parler de moy, mais parler seulement de moy  » ( III, 8 ). «  C ’ est une espineuse entreprise, et plus qu ’ il ne semble, de suyvre une  alle ure si vagabonde que celle de nostre esprit, de penetrer les profondeurs opaques de ses replis internes, de choisir et arrester tant de memes airs de ses agitations... Il y a plusieurs années que je n ’ ay que moy pour visées à mes pensées, que je ne contrerolle et n ’ estudie que moy  ; et si j ’ estudie autre chose, c ’ est pour soudain le coucher sur moy, ou en moy, pour mieux dire... Il n ’ est description pareille en difficulté à la description de soy-mesure, ny certes en utilité  » ( II, 6 ). Il ne s ’ agit pas plus de se raidir contre l ’ expérience, avec de prétendus principes rationnel, que de se laisser aller au gré du

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