Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
des tempêtes qu ’ ont soulevées ses livres, des p.772 ép i sodes tragiques qu ’ ils ont suscités. C ’ est qu ’ il faut voir en lui moins un philosophe spéculatif qu ’ un homme de métier qui s ’ émeut de la stérilité de l ’ enseignement dans les écoles parisiennes, qui voudrait y porter remède, et qui se heurte à toutes les résistances de la routine. On connaît ses tribulations : issu d ’ une très pauvre famille du Vermandois, il conquiert, en 1536, son grade de maître ès arts en soutenant la thèse suivante :« Tout ce qu ’ a dit Aristote est fiction ( commenticia ). »
En 1543, il publie des Aristotelicae animadversiones ; les péripatéticiens le poursuivent devant le Parlement ; l ’ affaire est évoquée devant le roi ; François I er , dans ses « solicitudes » pour « accroistre et enrichir son royaulme de toutes bonnes lettres et sciences » [913] , interdit à Ramus d ’ enseigner et de publier aucun livre ; car, dit l ’ arrêt, « parce qu ’ en son livre des Animaduersions il reprenoit Aristote, estoit évidemment cogneue et manifestee son ignorance, voire qu ’ il avoit mauvaise voulente, de tant qu ’ il blasmoit plusieurs choses qui sont bonnes et véritables » . L ’ interdiction fut levée par Henri II en 1551 et, pendant dix ans, Ramus enseigna avec éclat au Collège de France, sans sortir du vieux cadre du trivium et quadrivium, puisque ses leçons portèrent sur la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l ’ arithmétique et la géométrie.
Converti au calvinisme en 1562, il quitta Paris pendant les guerres civiles ; il trouva un accueil empressé en Allemagne et en Suisse, où il professa de 1568 à 1570 ; rentré en 1570, il fut assassiné deux jours après la Saint-Barthélémy, le 26 août 1572 ; son collègue et implacable ennemi Charpentier est accusé de ce meurtre.
Professeur avant tout, il cherche à apporter en toutes les matières qu ’ il enseigne une simplicité, une clarté que l ’ on ne connaissait plus. Il est, comme l ’ a dit Bacon, non sans ironie, le « père des Abrégés » . Ses Animadversiones de 1543 vont p.773 rejoindre sa brève Dialectique de 1555, écrite en français, et ses Advertissements sur la réformalion de l ’ Université de Paris au Roy , de 1562, où il proteste contre la complication de l ’ enseignement. Son reproche essentiel à Aristote tient sans doute en ses ligne s :« Il a voulu faire deux logiques, l ’ une pour la science, l ’ autre pour l ’ opinion » [914] ; Aristote a voulu séparer la discussion vivante, celle que pratiquent naturellement « les poètes, orateurs, philosophes et bref tous excellents hommes » , d ’ un certain amas chaotique de règles qui sont de nul usage et qui encombrent l ’ esprit. Tout Ramus est là : la logique ou dialectique est un art pratique, fondé sur la nature. On commence par la doctrine, on croit connaître la logique « pour savoir caqueter en l ’ école des règles d ’ icelle » [915] . Il faut à l ’ inverse commencer par la nature et pratiquer longtemps poètes, orateurs et philosophes.
La dialectique de Ramus, comme on l ’ a noté avec beaucoup de raison [916] , est calquée sur la rhétorique de Cicéron et de Quintilien ; les deux parties qu ’ il y distingue, sont l ’ invention, qui consiste à trouver les arguments, et la disposition, qui consiste à les mettre en ordre ; or ce sont là les deux premières parties de la rhétorique. L ’ invention est l ’ ancienne topique, qui indique les classes générales d ’ arguments : les causes, les effets ; etc. La disposition concerne la mise en forme de ses arguments ; la dernière partie de la disposition est la méthode, qui consiste à grouper les arguments, une fois trouvés, dans l ’ ordre le plus clair possible. Il est donc à noter que, chez Ramus, l ’ ordre reste entièrement séparé de la découverte des arguments. La méthode ou ordre n ’ a qu ’ à résoudre des problèmes de ce genre : les préceptes de grammaire étant mis chacun sur un carré de papier, puis, tous les carrés étant brouillés, comment les ordonner ? Et Ramus de remarquer :« Premièrement, il p.774 ne sera pas besoing des lieux d ’ invention, car tout est jà trouvé. » Il n ’ a donc pas le moindre pressentiment de cette intime liaison entre l ’ ordre et l ’ invention que Descartes découvrit non pas chez
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