Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
et vices du monde et des passions » , et la « pleine liberté d ’ esprit tant en jugement qu ’ en volonté » [907] , ce qui est du pur Épictète. Ajoutons que cette liberté s ’ accompagne du précepte « d ’ obéir et observer les lois, coutumes et cérémonies du pays » .
Le moraliste est ainsi amené à étudier l ’ homme tel qu ’ il est au lieu de chercher à sa conduite quelque principe transcendant ; p.770 la connaissance de soi, c ’ est-à-dire des faiblesses humaines, est, selon Charron, un élément important de la sagesse, et l ’ affaire du moraliste est dès lors de peindre les passions et leurs causes.
Dans le même temps que ces morales humanistes, naissait une politique réaliste qui ignorait tout du droit divin des princes ou d ’ un contrat entre les princes et les peuples, qui ne voulait voir dans la société que le jeu des forces humaines et le conflit des passions. Le type en est le célèbre Prince de Nicolas Machiavel (1469-1527) qui acquiert, dans ses fonctions d ’ agent diplomatique de la république florentine, une expérience dont il nous donne les fruits. « La plèbe, sa nature est de se réjouir du mal..., une multitude sans chef n ’ est aucune d ’ utilité » [908] , voilà les aphorismes qui justifient les moyens par lesquels le prince assure son autorité. Qu ’ il soit prince par la volonté du peuple qui veut se servir de lui contre les grands, ou bien par la faveur des grands, il doit tout faire plier ; le prince n ’ est pas un législateur, c ’ est un guerrier ;« la guerre, ses institutions et sa discipline sont le seul objet auquel un prince doive donner ses pensées et son application et dont il doive faire m é tier ; car c ’ est là le vrai métier de quiconque gouverne » [909] . Aussi bien un prince ne doit-il pas se mettre en peine du reproche de cruauté, lorsqu ’ il s ’ agit de maintenir ses sujets dans l ’ obéissance. La vraie clémence ne consiste-t-elle pas à faire quelques exemples de rigueur au lieu de laisser s ’ élever des désordres qui bouleverseront la société entière ? Le prince n ’ est pas davantage obligé de tenir sa parole, si cette fidélité tournait à son détriment. Tout dépend ici des circonstances : un prince « doit savoir agir à propos, en bête et en homme » ; il agit en homme quand il combat avec les lois ; mais cette manière de combattre ne suffit point, et il doit souvent agir « en bête » , c ’ est-à-dire employer la violence.
p.771 Ce sont bien des leçons de réalisme que son époque trouva chez Machiavel, et un siècle plus tard, François Bacon pouvait écrire :« Il faut remercier Machiavel et les écrivains de ce genre qui disent ouvertement et sans dissimulation ce que les hommes ont coutume de faire, non ce qu ’ ils doivent faire » [910] .
C ’ est le problème du prince que Machiavel pose en Italie au début du siècle ; c ’ est celui du tyran qu ’É tienne de la Boétie (1530-1563) pose dans le Discours de la servitude volontaire , qu ’ il écrivit, dit son ami Montaigne, « n ’ ayant pas encore atteint le dix-huitiesme an de son âge, à l ’ honneur de la liberté contre les tyrans. » Comment un nombre infini de personnes peut-il se laisser tyranniser par un seul, c ’ est le problème de Machiavel, vu cette fois non du côté du prince, mais du côté des peuples. Le tyran ne pourrait rien, s ’ il ne rencontrait de la part du peuple la volonté d ’ être esclave : C ’ est le peuple qui s ’ asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d ’ être serf ou d ’ être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse » [911] . Si le peuple cesse ainsi d ’ user de son « droit naturel » , c ’ est que « les semences de bien que la nature met en nous sont si menues et glissantes qu ’ elles ne peuvent endurer le moindre heurt de la nourriture contraire ; elles ne s ’ entretiennent pas si aisément comme elles s ’ abâtardissent, se fondent et viennent à rien » [912] . Ainsi il y a, dans la pensée de la Boétie un sentiment du droit des peuples, un idéalisme juridique qui l ’ opposent en tout à Machiavel.
X. — UN ADVERSAIRE D ’ ARISTOTE :
PIERRE DE LA RAMÉE
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Un lecteur moderne sera quelque peu étonné, en lisant les élégantes productions de Ramus (1515-1572), de la célébrité de son nom,
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