Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
celle qui consiste à glisser toujours de la participation à l ’ identité, qu ’ il s ’ agisse du sens et de l ’ intellect, ou bien du sensible et de l ’ intelligible.
C ’ est ce qui explique les principaux traits de sa vision du monde : chez lui, toutes les hypostases, Dieu, Intelligence, Ame du monde, Matière se réduisent à une seule, qui est la vie à la fois une et multiple de l ’ univers, « l ’ animal saint, sacré et vénérable » [925] ; il ne peut, en particulier, admettre une matière qui ne soit qu ’ un non être et qui ne contienne déjà toutes les raisons séminales ; en quoi il s ’ écarte de Plotin moins qu ’ on ne le croit d ’ habitude, puisque, sous le nom de matière intelligible, celui-là a précisément conçu une réalité véritable et p.781 divine. Tous les individus ne peuvent être pour lui que des modes de la substance unique, qui sont à la substance comme les nombres à l ’ unité, ou plutôt comme les unités composantes des nombres à l ’ unité primitive qui en est la condition ; Dieu est la monade des monades, l ’ entité des êtres, la substance des substances ou, comme le dit le De Immenso :
... Rerum facies dum tantum fluctuat extra,
Intimius cunctis quam sint sibi quaeque, vigens est
Entis principium, cunctarum fons specierum,
Mens, Deus, Ens, Unum, Verum, Fatum, Oratio, Ordo [926] .
« Tandis que la surface des choses reste flottante, il est plus intime à toutes choses qu ’ elles ne le sont à elles-mêmes, principe vivant de l ’ être, source de toutes les formes, Esprit, Dieu, Être, Un, Vrai, Destin, Verbe, Ordre » . Dans certains exposés, cet Esprit se décompose en réalités de degrés différents : Esprit supérieur à tout ou Dieu, Esprit inséré en toutes choses ou Nature, Esprit qui traverse toutes choses ou Raison [927] ; en d ’ autres, il ne s ’ agit que d ’ une réalité unique ; peu importent ces différences ; elles n ’ ont de prix que pour ceux qui veulent chercher si Bruno est partisan de la transcendance ou de l ’ immanence, ce qui n ’ a de sens que lorsqu ’ on fait de Dieu et de la nature des réalités statiques et juxtaposées, ce qui n ’ en a aucun lorsqu ’ on accepte le dynamisme de Bruno qui considère la force vivante et mouvante.
Ainsi s ’ explique la thèse de l ’ infinité de l ’ univers, puisque l ’ infini divin ne peut s ’ exprimer que dans un univers également infini. Ainsi s ’ explique, malgré le paradoxe apparent, même l ’ atomisme (que l ’ on pourrait appeler plus proprement la monadologie). Bruno, en effet, fait, comme plus tard Leibniz, de la simplicité la caractéristique de la substance : p.782
Compositum porro nullum substantia vera est [928] .
Si, pour cette raison, il accepte les atomes, ce ne sont pas les « éléments impies » [929] de Démocrite ; la physique de Bruno n ’ est point du tout mécaniste : en dehors des atomes, il y a l’éther « région immense dans laquelle se meut et vit le monde » [930] , milieu remplissant l ’ espace, corps de l’âme du monde par lequel les atomes se composent et se combinent, et, en chaque individu une âme qui est comme le centre autour duquel se rassemblent et s ’ ordonnent les atomes : de telle sorte que Bruno garde simultanément la conception plotinienne de l ’ individu comme image du tout et microcosme et de l ’ indivisible démocritéen comme unité composante.
De son système Bruno espère, comme Ficin du platonisme, la véritable unité religieuse, qu ’ il oppose à celle des Réformateurs, ces esprits misanthropes semant partout la discorde, à celle du catholicisme, fanatique, pessimiste et ennemi de la nature, à celle du judaïsme avec son dieu jaloux et sanguinaire [931] ; unité qu ’ il rattache à la « religion égyptienne » , c ’ est-à-dire au platonisme religieux d ’ Hermès Trismégiste. Cette religion est une gnose ; c ’ est la connaissance pour l ’ homme que « Dieu est voisin de lui, avec lui et plus intérieur à lui que lui-m ême il ne peut l ’ être » [932] ).
La pensée de L. Vanini (1585-1619) est fort loin d ’ avoir la rigueur et l ’ ampleur de celle de Bruno ; cherchant partout asile contre ses persécuteurs et finalement victime de l ’ Inquisition, qui le fit brûler à Toulouse comme hérétique, il est surtout le propagateur et le vulgarisateur des thèses des Padouans.
XIV.
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