Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
voir naître les cadres d ’ abord de la logique, puis de toute la philosophie d ’ Aristote. Son premier souci concerne le vocabulaire : la confusion dans la discussion vient de ce que l ’ on désigne des choses différentes par un même nom (homonymes) ou une même chose par des noms différents synonymes) ; le préliminaire indispensable est d ’ énumérer les divers sens donnés aux mots employés dans la discussion ; presque tout son traité des Catégories, et le livre Δ de la Métaphysique sont consacrés à ces recherches de vocabulaire ; il s ’ agit moins de distinguer les choses mêmes que les divers emplois d ’ un même mot.
Même remarque sur la théorie de la proposition qui est à la base de la logique aristotélicienne. En affirmant que toute proposition se compose d ’ un sujet et d ’ un attribut, Aristote a soutenu une thèse d ’ une immense portée non seulement logique, mais métaphysique. Or, cette thèse, il l ’ emprunte non pas à l ’ analyse du langage comme on l ’ a dit quelquefois (et de fait, il connaît des formes verbales, telles que celles du vœu, de la prière, qu ’ il renvoie à la rhétorique), mais bien à l ’ analyse des problèmes dialectiques. En effet, tout problème dialectique consiste à demander si un attribut appartient ou non à un sujet ; c ’ est en contestant qu ’ il fût possible d ’ affirmer un attribut d ’ un sujet que les antilogiques rendaient la dialectique impossible ; ce sont, inversement, les besoins de la dialectique qui ont amené Aristote à sa théorie et c ’ est pourquoi il énonce habituellement p.174 les propositions non sous la forme devenue classique : A est B, mais sous celle-ci : B appartient à A. Une proposition est une protasis , c ’ est-à-dire une affirmation qu ’ on présente à l ’ approbation d ’ un interlocuteur. Il en est de même du classement des propositions ; la division classique en propositions universelles (affirmatives ou négatives) et particulières (affirmatives ou négatives) se présente d ’ abord comme division des problèmes ; tout problème consiste en effet à se demander si un attribut appartient (ou n ’ appartient pas) au tout (où à une partie) d ’ un sujet, ce qui donne la formule des quatre propositions [233] .
De plus, il importe, pour saisir la portée d ’ un problème dialectique, de connaître le genre de l ’a ttribut que l ’ on demande. L ’ attribut dit-il ce qu ’ est le sujet, ou énonce-t-il seulement une propriété du sujet ? Énonce-t-il une propriété qui lui appartient nécessairement ou seulement accidentellement ? Autant de cas à distinguer pour rendre la discussion possible ; car bien des erreurs viennent de ce que l ’ on se croit en droit de renverser les propositions, c ’ est-à-dire d ’ admettre, parce que A appartient à tout B, que B appartient à tout A. Or, ce renversement n ’ est admissible que si A est un propre de B, c ’ est-à-dire lui appartient nécessairement et exclusivement. De préoccupations de ce genre, on voit naître la fameuse distinction des attributs en cinq classes : genre, espèce, différence, propre et accident [234] . Les trois premiers se rattachent évidemment à la pratique platonicienne de la division ; la division était destinée à montrer ce qu ’ est un sujet (ou sa quiddité) en déterminant d ’ abord l a classe la plus générale dont il faisait partie, puis en divisant cette classe en plusieurs ; la classe la plus ample (animal) devient chez Aristote le genre ; ce qui permet d ’ y séparer des classes subordonnées, ce sont des différences (raisonnable) ; la synthèse du genre et de la différence, c ’ est l ’ espèce (homme) ; et chacun de ces trois attributs, chez Aristote comme dans la p.175 division platonicienne, répond à la question qu ’ est-ce que ? le genre et la différence indiquant, pris chacun à part, une partie de l ’ essence de l ’ espèce, et pris ensemble, cette essence entière, dont la formule est la définition. Le propre et l ’ accident, au contraire, sont des attributs qui ne font pas partie de l ’ essence du sujet, c ’ est-à-dire ne répondent pas à la question qu ’ est-ce que ? Mais le propre est une dépendance nécessaire de l ’ essence du sujet à qui il appartient exclusivement comme l ’ égalité des angles à deux droits appartient au seul triangle parmi les polygones ; l ’
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