Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
problème consiste à demander un oui ou un non), il faut au moins que le non ait un sens par rapport au oui, l ’ erreur par rapport à la vérité, l ’ autre par rapport au même : c ’ est la question de Platon dans le Sophiste . Aristote ayant en vue surtout la pratique de la discussion, cherche à déterminer quelles sont les thèses qui se commandent et celles qui s ’ excluent l ’ une l ’ autre. Quand une proposition affirme de tout le sujet ce que l ’ autre nie de tout le sujet (Tout homme est juste, aucun homme n ’ est juste), elles sont dites contraires et ne peuvent être vraies en même temps : sont contradictoires deux propositions dont l ’ une affirme ce que l ’ autre nie (Tout homme est blanc ; il n ’ est pas vrai que tout homme est blanc ou : quelque homme n ’ est pas blanc) ; de deux contradictoires, il est nécessaire que l ’ une soit vraie et l ’ autre fausse [240] . Il fallait aussi déterminer quels sont les couples d ’ attributs dont l ’ un commande ou exclut l ’ autre ; il y a quatre oppositions de termes ; les relatifs (double et moitié), les contraires (bien et mal), la possession et la privation (clairvoyant et aveugle), la p.178 contradiction (malade et non malade) [241] . De ces oppositions, le sens de la première et de la quatrième est facile à saisir ; car deux relatifs s ’ impliquent l ’ un l ’ autre, et deux contradictoires s ’ excluent, l ’ un des deux devant nécessairement appartenir au sujet. En revanche l ’ emploi des deux autres groupes d ’ opposés demande mille précautions ; d ’ abord il faut déterminer dans quel genre on prend les contraires. (blanc et noir, dans le genre couleur ; pair et impair dans le nombre) et rapporter la discussion exclusivement à ce genre ; puis, il faut distinguer deux cas, celui où les contraires n ’ ayant pas de milieu, la position de l ’ un entraîne l ’ exclusion de l ’ autre (pair, impair), et le cas inverse (blanc et noir ; le non blanc n ’ étant pas forcément le noir) ; dans ce dernier cas, la détermination des contraires sera difficile ; si le contraire du blanc est le noir et non pas une autre couleur, c ’ est que dans le genre couleur, le noir est ce qu ’ il y a de plus éloigné du blanc : les termes les plus éloignés possible, telle est la définition très peu précise des contraires à laquelle aboutit Aristote. Pour la possession et la privation, il est entendu qu ’ ils n ’ ont de sens que si on les rapporte à un sujet qui possède par nature ce dont il peut être privé ; c ’ est l ’ homme qui est aveugle et non la pierre ; sinon serait vrai le sophisme qui affirme que l ’ homme a des cornes parce que l ’ on ne peut dire quand il les a perdues.
II. — L ’ ORGANON ( suite ) : LES ANALYTIQUES
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De ces cadres logiques, si visiblement faits pour la discussion, Aristote a tiré toute sa théorie du syllogisme. Il est venu à s ’ apercevoir que la nécessité avec laquelle on tirait les conséquences des thèses posées d ’ abord était tout à fait indépendante du fait que l ’ on discute ; le professeur qui expose, le p.179 dialecticien qui discute, l ’ orateur qui persuade emploient, quelle que soit la différence de leurs points de départ, un raisonnement aussi rigoureux : c ’ est le syllogisme, c ’ est-à-dire le procédé qui fait voir à la pensée l ’ union d ’ un attribut à un sujet, quand cette union n ’ est pas connue immédiatement. Il est donc loisible d ’ étudier en lui-même ce raisonnement « dans lequel, certaines choses étant posées, une autre en résulte nécessairement par le seul fait que celles-là sont posées [242] » . Cette étude est l ’ objet des Premiers Analytiques, et elle comprend trois parties : la genèse des syllogismes (chap. 1 à 26), les moyens d ’ inventer les syllogismes (27-30), la réduction de tous les raisonnements valables au syllogisme [243] .
C ’ est la division platonicienne qui a pu donner à Aristote l ’ idée du syllogisme ; car la division est bien une manière de syllogisme ; elle « réunit » en effet un attribut (soit mortel) à un sujet (soit homme), une fois admis que ce sujet fait partie d ’ un genre (soit animal), et que ce genre se divise en deux espèces, mortel et immortel, dans la première desquelles rentre l ’ homme : il y a donc bien là trois termes, logiquement hiérarchisés,
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