Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
en puissance est devenu être en acte, la forme de la statue vers laquelle change l ’ airain, celle de la santé vers laquelle change l ’ organisme ( Physique, II , 3 ) .
La nature est aussi définie non à proprement parler comme forme, mais par une certaine relation à la matière. En envisageant d ’ une part des produits des arts comme une statue ou un lit, et d ’ autre part des êtres naturels comme une pierre ou un homme, on s ’ aperçoit que les seconds ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement et de leur repos, tandis que les premiers ont ce principe en un être étranger à eux, le sculpteur ou le charpentier ; dans le cas de la nature, nous avons affaire à une force active immanente ( « la semence produit une œuvre d ’ art ») ; dans le cas de l ’ art, la force active qui est une pensée abandonne l ’ œuvre une fois faite. Ce qui distingue l ’ un de l ’ autre, c ’ est p.203 donc bien le rapport de la forme à la matière, intérieur dans l’un, extérieur dans l ’ autre [295] .
Dans la même notion du rapport de la forme à la matière prennent un sens les notions généralement répandues de chance et de spontanéité auxquelles la critique des physiciens tendait à dénier toute valeur : notions populaires et immédiates désignant non l ’ absence de causes, ainsi que disent les physiciens, mais au contraire des causes agissantes pour notre bonheur ou notre malheur. L ’ homme qui, allant à l ’ agora, a la chance de trouver un débiteur à qui il ne songeait pas et de recouvrer ainsi sa dette croit avec raison que la chance est une cause parfaitement réelle. Elle est en effet réelle, mais à condition qu ’o n la considère comme toute relative, de la même façon que la matière n ’ est telle que relativement à la forme. Ainsi la chance ne peut se définir que par rapport aux actes qui sont faits en vue d ’ une fin ; il y a chance, lorsqu ’ un acte fait un vue d ’ une fin a les mêmes conséquences que s ’ il avait été fait en vue d ’ une autre fin ; ainsi le créancier recouvre sa dette comme s ’ il était venu pour cela. La chance n ’ est donc pas une cause première comme la volonté ou l ’ intention ; elle est plutôt cause par accident, en ce sens que l ’ acte dont l ’ événement heureux ou malheureux est l ’ effet n ’ a pas été fait pour le produire ; mais encore est-il que cet effet aurait pu être une fin pour la volonté. La chance est par suite un fait rare, tandis que les faits produits par des causes définies sont ceux qui se produisent toujours ou au moins la plupart du temps. La spontanéité est de même nature que la chance ; mais son domaine est plus large : elle est, à la finalité naturelle, ce que la chance est aux fins intentionnelles de la volonté ; si un trépied en tombant se dispose de manière à servir de siège, nous disons qu ’ il est tombé spontanément. C ’ est donc une aussi grosse erreur de nier ces causes que d ’ en faire des causes premières, antérieures à l ’ intelligence et à la nature.
p.204 Enfin, cette liaison commande l ’ idée qu ’ Aristote se fait du mouvement. Il importe de songer que, pour lui, le mot de mouvement évoque les changements d ’ état d ’ êtres déterminés. Le mouvement local, par exemple, ce n ’ est nullement un espace parcouru en un temps donné, définition telle que tout mouvement ait un rapport précis avec un autre mouvement, mais c ’ est le mouvement de l ’ être vivant, saut, marche, reptation ou vol, ou bien le mouvement de la pierre, mouvement vers le centre du monde ; celui de l ’ astre, mouvement circulaire [296] ; ce sont là mouvements d ’ espèce différente (parce qu ’ ils appartiennent à des substances différentes) et non pas seulement de quantité différente ; ils dépendent en une grande mesure de la nature du sujet qui les possède. Mais il y a bien d ’ autres changements d ’ états que des mouvements locaux ; il y a par exemple le changement qualitatif ou altération, comme le changement de couleur de la peau dans la passion ou dans la maladie, le changement en quantité, accroissement ou diminution , par exemple lorsque l ’ enfant grandit jusqu ’ à ce qu ’ il ait atteint sa taille d ’ adulte, ou lorsque le malade maigrit de consomption.
Tout mouvement est donc limité entre un état initial et un état final [297] qui aboutit au repos, lorsque se sont
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