Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
exploits de Thésée », ou encore : « En te souvenant des actes de ton père, tu auras un bel exemple de ce que je dis. » On comprend quel rôle avait l’allégorie d’Homère, et ce que devaient être ces ouvrages d’Antisthènes dont nous avons les titres, sur Hélène et Pénélope, le Cyclope et Ulysse, Circé, Ulysse et Pénélope et le Chien, où il montrait les héros victorieux dans les tentations [391].
Mais le héros cynique par excellence, c’est Hercule ; sur lui, Antisthènes écrit trois livres. La vie du cynique est une véritable imitation d’Hercule, le fils aimé de Zeus qui l’a rendu immortel à cause de ses vertus ; elle deviendra plus tard une imitation de Diogène. Le cynique veut toujours jouer un rôle. se poser comme modèle ou faire connaître des modèles : l’image fameuse du monde considéré comme un théâtre où chaque homme est acteur d’un drame divin, image qui aura une telle place dans la littérature morale populaire, vient peut-être de l’ Archelaos d’Antisthènes [392]. Hercule est le type de la volonté indéfectible et de la complète liberté.
p.274 L’empereur Julien se demande, dans le discours VII, si le cynisme est une doctrine philosophique ou un genre de vie. Le cynique, en effet, dès l’époque d’Antisthènes, a le vêtement et la tenue ordinaire des hommes du peuple, manteau (qu’il replie sur lui-même pendant l’hiver), barbe et cheveux longs, bâton à la main et besace au dos ; mais, ce vêtement et cette tenue, il les garde lorsque, sous l’influence macédonienne, la mode a changé, à peu près comme nos congrégations religieuses ont gardé l’habit usuel à l’époque de leur fondation ; nul ne peut dès lors ignorer ce passant excentrique avec la vêture qui le distingue ; d’autant que, pour montrer à tous son endurance, il reste nu sous la pluie, marche l’hiver les pieds dans la neige, reste l’été en plein soleil [393]. Ce sage, avec son franc parler qui ne ménage ni les riches ni les rois et qu’un Aristote aurait sans doute appelé effronterie ou grossièreté [394], n’a rien qui le lie à aucun groupe social. Plus mal traité que les mendiants de profession, « sans cité, sans maison, sans patrie, mendiant errant à la recherche de son pain quotidien » (comme dit de lui-même Diogène citant un tragique), il vit dans les lieux publics, s’abrite dans les temples et s’invite chez tous. Ainsi seulement il peut remplir sa mission, celle de messager de Zeus, chargé d’observer les vices et les erreurs des hommes. C’est à cette mission que doit faire allusion le titre d’Antisthènes Sur l’Observateur ; c’est elle qu’affirme Diogène, disant à Philippe qu’il est l’observateur de ses désirs insatiables ; c’est elle enfin dont le cynique Ménédème, contemporain du Philadelphe (285-247), donne à tous le spectacle, en se costumant en Erinnye, et en se donnant pour un observateur venu de l’Hadès pour annoncer aux démons les péchés des hommes [395].
C’est sur le célèbre Diogène de Sinope (413-327) que la légende a accumulé tous les traits de cette vie cynique. De cette masse p.275 de chries, de bons mots, d’apophtegmes recueillis surtout par Diogène Laërce et Dion de Pruse, et si connus, de tous, peut-on dégager l’authentique physionomie de Diogène [396] ? On a remarqué avec raison que tous ces documents ne sont pas d’accord entre eux et nous donnent, inextricablement mêlés, deux portraits de Diogène. Il y a le Diogène licencieux, sans frein, débauché, raillant l’ascétisme de Platon ; il ressemble tellement aux hédonistes les plus relâchés qu’on lui attribue les bons mots d’Aristippe ; il est si irréligieux qu’on lui prête les plaisanteries de Théodore l’athée [397]. Il y a d’autre part, un Diogène plus sévère, à la volonté tendue, l’ascète qui, vieillard, répond à ceux qui lui conseillent le repos : « Et si j’étais coureur, au long stade, irais-je me reposer à la fin de ma course, n’augmenterais-je pas au contraire mon effort ? », le maître qui, comme les directeurs de chants, accentue le ton que les élèves doivent prendre, le héros du travail et de l’effort (πόνος). De ces deux portraits, il semble bien que le second est le véritable Diogène [398]. Les plus anciens cyniques, dont le maître Antisthènes proclamait qu’« il aimerait mieux être fou que ressentir du plaisir », ne
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