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Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Titel: Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Émile Bréhier
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peuvent pas se rapprocher à ce point d’Aristippe. Tout au contraire, nous verrons au chapitre suivant que, chez les cyniques du III e siècle, il s’opère une sorte de glissement vers l’hédonisme ; à ce moment naît le cynisme hédoniste, cette sorte de sans-gène brutal, qui, dans l’usage actuel et habituel du mot, est le cynisme tout court. C’est peut-être à cet esprit nouveau qu’est due l’introduction d’une masse nouvelle d’anecdotes dans la vie de Diogène.
    Le cynisme de Diogène paraît donc avoir été une pratique plus qu’une doctrine ; autant il s’éloigne des sciences, autant il affecte de rapprocher sa philosophie des arts serviles et manuels. La preuve que la vertu n’est pas un don inné ni acquis p.276 par la science, mais qu’elle est le résultat d’un exercice (άσκησις), c’est que « l’on voit, dans les arts serviles et les autres, les artisans acquérir par l’exercice un savoir-faire peu ordinaire [399] » ; tels les athlètes et les joueurs de flûte. « Rien dans la vie ne réussit sans l’exercice ; avec lui, on peut surmonter toutes choses. » Il s’agit d’ailleurs autant de l’exercice corporel qui nous donne la vigueur que de la méditation intérieure ; l’un complète l’autre. Une sorte de confiance entière dans l’effort, une confiance fondée sur l’expérience forme bien le centre du cynisme de Diogène, à condition toutefois que l’on entende non pas un effort quelconque, mais un effort raisonné : ce n’est pas l’effort en lui-même qui est bon ; il y a des « peines inutiles » ; et l’œuvre de la philosophie « consiste à choisir les efforts conformes à la nature pour être heureux ; c’est donc par manque de sens qu’on est malheureux ». D’où le rôle primordial qui reste à la raison ; il reste dans le cynisme beaucoup d’intellectualisme, puisque l’intelligence donne seule le sens du travail à faire.
    Sans ce trait, on ne s’expliquerait pas pourquoi les cyniques pourchassent tellement les préjugés et les opinions fausses ; « toute opinion est une fumée, », fait dire le comique Ménandre (342-290) au cynique Monimos [400]. Dénoncer partout la convention, lui opposer la nature, tel est un des fruits de l’enseignement de Diogène. Selon une tradition qui remonte à Dioclès, Diogène était le fils d’un banquier de Sinope, qui avait été exilé de son pays pour avoir fabriqué de la fausse monnaie ; Diogène se vantait d’en avoir été complice comme si le crime de son père avait préfiguré sa propre mission ; et jouant sur les mots, il voyait dans l’acte de fausser la monnaie (νόμισμα) le mépris de toutes les valeurs conventionnelles (νόμος) [401]. Il ne s’agit point d’ailleurs du tout, en abolissant les préjugés sociaux, de réformer la société ; si, par exemple, les cyniques p.277 admettent, comme Platon, la communauté des femmes, ce n’est point, comme lui, pour resserrer le lien social, mais pour le relâcher et laisser au sage plus de liberté. Leur but est si peu la réforme de la société qu’ils profitent sans vergogne de tous les avantages des riches cités bâties par l’orgueil ; Diogène disait par raillerie que le portique de Zeus a été bâti pour qu’il y habite. Il s’agit donc bien, dans cette émancipation des préjugés, d’une réforme intérieure et individuelle.
    La cité que rêvent les cyniques n’exclut pas, mais au contraire suppose la cité réelle. C’est ce que dit Cratès (vers 328), le disciple de Diogène et le maître du stoïcien Zénon, dans un poème qui nous a été conservé : « C’est au milieu de la rouge fumée de l’orgueil qu’est bâtie la Besace, la cité du cynique, où aucun parasite n’aborde, qui ne produit que du thym, des figues et du pain, pour la possession desquels les hommes ne prennent pas les armes les uns contre les autres [402]. »
    Dans un esprit diamétralement opposé à celui de Platon et même d’Aristote, le cynique sépare la vie morale du problème social, en même temps qu’il rejette les sciences exactes en dehors de la méditation intellectuelle du sage. Comme il n’est pas d’homme plus dénué d’esprit scientifique, il n’en est pas qui soit plus dénué d’esprit civique.
    Il ne partage pas la fierté qu’un Platon ou un Isocrate ont d’être Hellènes et descendants de ces Athéniens qui ont repoussé l’envahisseur perse ; Antisthènes

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