Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
paraît bien avoir dit que la victoire des Grecs sur les Perses ne fut qu’une affaire de chance. Pourtant, si le cynique se proclame citoyen du monde, si « sa politique suit les lois de la vertu plus que celles de la cité », il a une prédilection pour des formes politiques incompatibles avec la cité grecque, tel que l’empire perse ou l’empire d’Alexandre ; trois ouvrages d’Antisthènes portent le titre de Cyrus et ont peut-être inspiré cette magnification du Cyrus p.278 type du roi, que l’on voit dans la Cyropédie de Xénophon ; et c’est une tradition qui se continua chez les cyniques, puisqu’un disciple de Diogène, Onésicrite, écrivit un Alexandre, calqué, nous dit-on, sur la Cyropédie .
IV. — ARISTIPPE ET LES CYRÉNAIQUES
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Même décri des sciences exactes, même indifférence. pour l’organisation sociale chez Aristippe de Cyrène et ses disciples ; ils sont à cet égard sur la même ligne (divergente de Platon) que les mégariques et les cyniques. A quoi bon s’occuper des sciences mathématiques ? Ne sont-elles pas inférieures aux arts les plus bas, puisqu’elles ne s’occupent ni des biens ni des maux [403] ? Quant au rôle social que le philosophe se réserve, il est, en un sens, diamétralement opposé à celui des cyniques, bien qu’il aboutisse pratiquement à la même indifférence. En effet (si du moins les paroles que Xénophon met dans sa bouche ne défigurent pas trop sa pensée) [404], Aristippe, prenant le contre-pied des cyniques, dit qu’« il ne se met pas au rang de ceux qui veulent commander ». Seul un insensé s’imposera toutes les peines et toutes les dépenses que doivent assumer ces magistrats « dont les cités se servent comme un particulier de ses esclaves ». Pour lui, il ne songe qu’à mener une vie facile et agréable.
Aristippe est un contemporain de Platon, attiré à Athènes par le désir de suivre l’enseignement de Socrate, puis, comme Platon, hôte du tyran Denys de Syracuse, qui, d’après les légendes hostiles répandues sur son compte, lui aurait fait subir les pires avanies, que son désir de luxe et de vie élégante lui faisait accepter sans récriminer. Il est bien difficile de retrouver sa doctrine. Comme documents nous avons, chez Diogène Laërce ( II, 86-13 ), une liste de titres d’ouvrages dont beaucoup étaient p.279 contestés dès l’antiquité, une doxographie attribuée aux cyrénaïques en général et qui paraît insister surtout sur les points par où l’hédonisme cyrénaïque se distingue de celui d’Épicure, enfin un exposé de la théorie de la connaissance des « Cyrénaïques » chez le sceptique Sextus Empiricus [405], qui emploie beaucoup des termes techniques propres au stoïcisme.
On a voulu enrichir ce fond par quelques textes de Platon et d’Aristote, où l’on croit voir des allusions à Aristippe. Ces textes peuvent se partager en deux catégories : ceux du Philèbe, de l’ Éthique à Nicomaque, de la République, oùl’hédonisme est exposé ou critiqué, celui du Théétète , où Platon exposerait, sous le nom de Protagoras, la doctrine de la connaissance d’Aristippe. Les premiers de ces textes concernant l’hédonisme posent une question fort obscure. Ils parlent d’hédonistes, mais parlent-ils d’Aristippe ? Sûrement non pour l’un d’eux. Au chapitre II du X e livre de l’ Éthique à Nicomaque, Aristote nomme l’hédoniste dont il parle : c’est Eudoxe de Cnide (mort en 355), le fameux astronome qui avait fréquenté l’école de Platon [406]. Eudoxe était-il, à proprement parler, un hédoniste ? Homme connu pour son austérité et sa réserve, nous dit Aristote, ce n’est point par goût du plaisir mais pour rendre témoignage à la vérité qu’il constate que tout être recherche le plaisir et fuit la douleur, que le plaisir est désiré pour lui-même, et enfin que, ajouté à une chose déjà bonne, il en augmente la valeur ; or ce sont là les caractères admis par tous comme étant ceux du Bien et du souverain Bien. Il est intéressant de voir que, après avoir cité ces arguments d’Eudoxe en faveur de la thèse que le plaisir est le souverain bien, Aristote étudie et critique l’argumentation du Philèbe qui répond à peu près point par point à celle d’Eudoxe ; il est clair d’après cela que l’hédoniste que viserait Platon dans le Philèbe pourrait être Eudoxe et non Aristippe.
p.280 L’on fait remarquer
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