Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
toujours en fait ces plaisirs de l’esprit, comme les douleurs corporelles sont bien plus pénibles que les douleurs morales.
Dans ces conditions, le cyrénaïsme ne peut du tout se proposer d’atteindre cette vie exempte de peine, toute vertueuse impassible, que le cynisme proposait à son sage : en fait le sage reste exposé à la peine, et le méchant ressent parfois des plaisirs. Le sage n’est pas non plus exempt de passions ; certes il n’a aucune des passions qui reposent sur une construction intellectuelle, sur une « vaine opinion », mais il ressent fatalement tout ce qui est impression immédiate et certaine ; il est donc sujet à la peine et aussi à la crainte qui est l’appréhension justifiée de la peine.
Jamais on n’est allé plus loin pour écarter tout ce qui pouvait être critère du bien et du mal, en dehors du plaisir ou de la peine immédiatement sentis comme « mouvement facile » ou « mouvement rude ». S’il y reste encore un peu de raison, c’est que, « bien que tout plaisir soit désirable en lui-même, les agents de certains plaisirs sont souvent pénibles ; aussi la réunion des plaisirs qui forment le bonheur est-elle fort difficile ». Ainsi, bon gré mal gré, le cyrénaïque est amené à poser le problème de la combinaison des plaisirs, mais, dès ce moment, la doctrine risque d’être atteinte au cœur ; c’est ce que nous verrons, dans un prochain chapitre, chez les successeurs d’Aristippe au III e siècle.
Sextus Empiricus remarque qu’il y a parfaite correspondance entre la doctrine morale d’Aristippe et sa théorie de la connaissance ; la connaissance, comme la conduite, ne trouve de certitude et d’appui que dans l’impression immédiate à laquelle elle doit se tenir pour rester sûre ; « que nous éprouvions l’impression de blanc ou de doux, voilà ce que nous p.283 pouvons dire sans mentir avec vérité et certitude ; mais que la cause de cette impression est blanche ou douce, voila ce qu’on ne peut affirmer. » L’impression ne doit être le point de départ d’aucune conclusion, la base d’aucune superstructure intellectuelle. Non seulement la connaissance ne nous fait atteindre aucune réalité en dehors de l’impression, mais elle ne permet même pas un accord entre les hommes, puisqu’elle est strictement personnelle et que je n’ai pas le droit de conclure de mon impression à celle du voisin ; le langage seul est commun ; mais le même mot désigne des impressions différentes.
Mégarisme, cynisme et cyrénaïsme forment la contrepartie du platonisme et de l’aristotélisme ; ils se refusent à voir l’intérêt humain de la culture intellectuelle, et même de toute civilisation ; ils cherchent à l’homme un appui en lui-même, et en lui seul.
Bibliographie
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CHAPITRE II
L’ANCIEN STOÏCISME
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p.284 On appelle âge hellénistique l’époque pendant laquelle la culture grecque est devenue le bien commun de tous les pays méditerranéens ; depuis la mort d’Alexandre jusqu’à la conquête romaine, on la voit peu à peu s’imposer, de l’Égypte et de la Syrie jusqu’à Rome et à l’Espagne, dans les milieux juifs éclairés comme dans la noblesse romaine. La langue grecque, sous la forme de la κοινή ou dialecte commun, est l’organe de cette culture.
A certains égards, cette période est une des plus importantes qui soient dans l’histoire de notre civilisation occidentale. De même que les influences grecques se font sentir jusqu’en Extrême-Orient, nous voyons inversement, à partir des expéditions d’Alexandre, l’Occident grec ouvert aux influences de l’Orient et de l’Extrême-Orient. Nous y suivons, dans sa maturité et dans son éclatant déclin, une philosophie qui, loin des préoccupations politiques, aspire à découvrir les règles universelles de la conduite humaine et à diriger les consciences. Nous assistons, pendant ce déclin, à la montée graduelle des religions orientales et du christianisme : puis c’est, avec la ruée des Barbares, la dislocation de l’empire et le long recueillement silencieux qui prépare la culture moderne.
I. — LES STOÏCIENS ET L’HELLLÉNISME
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Un magnifique élan idéaliste qui pénètre de pensée philosophique la civilisation tout entière, mais qui bientôt s’arrête p.285 et meurt en dogmes cristallisés, un retour de l’homme sur soi qui renie la culture pour ne chercher appui qu’en
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