Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
lui-même, dans sa volonté tendue par l’effort ou dans la jouissance immédiate de ses impressions, tel est le bilan du IV e siècle, du grand siècle philosophique d’Athènes. A partir de ce moment, les sciences expulsées de la philosophie vont continuer leur vie autonome, et le III e siècle est le siècle d’Euclide (330-270), d’Archimède (287-212) et d’Apollonius (260-240), un grand siècle pour les mathématiques et l’astronomie, tandis qu’au Musée d’Alexandrie, dont le bibliothécaire est le géographe Ératosthène (275-194), les sciences d’observation et la critique philologique se développent de pair.
Quant à la philosophie, elle prend une forme tout à fait nouvelle et elle ne continue à proprement parler dans aucune des directions que nous avons décrites jusqu’ici : les grands dogmatismes que nous voyons naître alors, stoïcisme et épicurisme, ne ressemblent à rien de ce qui les a précédés ; si nombreux que puissent être les points de contact, l’esprit est entièrement nouveau. Deux traits le caractérisent : le premier c’est la croyance qu’il est impossible à l’homme de trouver des règles de conduite ou d’atteindre le bonheur sans s’appuyer sur une conception de l’univers déterminée par la raison ; les recherches sur la nature des choses n’ont pas leur but en elles-mêmes, dans la satisfaction de la curiosité intellectuelle, elles commandent aussi la pratique. Le second trait, qui d’ailleurs aboutit plus ou moins, c’est une tendance à une discipline d’école ; le jeune philosophe n’a point à chercher ce qui a été trouvé avant lui ; la raison et le raisonnement ne servent qu’à consolider en lui les dogmes de l’école et à leur donner une assurance inébranlable ; mais il ne s’agit de rien moins dans ces écoles que d’une recherche libre, désintéressée et illimitée du vrai ; il faut s’assimiler une vérité déjà trouvée.
Par le premier de ces traits, les nouveaux dogmatismes rompaient avec l’inculture des Socratiques et réintroduisaient p.286 dans la philosophie le souci de la connaissance raisonnée ; par le second, ils rompaient avec l’esprit platonicien ; ni amateurs de libre recherche comme le Platon socratique, ni autoritaires et inquisiteurs comme l’auteur du X e livre des Lois . Rationalisme, si l’on veut, mais rationalisme doctrinaire qui clôt les questions, et non, comme chez Platon, rationalisme de méthode, qui les ouvre.
Ces deux traits si nouveaux ne furent pas acceptés sans résistance, et nous verrons, au-dessous des grands dogmatismes, se continuer la tradition des Socratiques au III e siècle.
Pour bien comprendre la portée et la valeur de ces deux traits, il convient de se demander quels étaient les hommes qui introduisaient ces nouveautés et de quelle manière ils ont réagi aux circonstances historiques nouvelles créées par l’hégémonie macédonienne.
Athènes reste le centre de la philosophie ; mais, parmi les nouveaux philosophes, aucun n’est un Athénien, ni même un Grec continental ; tous les Stoïciens connus de nous, au III e siècle, sont des métèques venus de pays qui sont en bordure de l’hellénisme, placés en dehors de la grande tradition civique et panhellénique, subissant bien d’autres influences que les influences helléniques, et, particulièrement celles des peuples tout voisins de race sémite. Une cité de Chypre, Cittium, adonné naissance à Zénon, le fondateur du stoïcisme, et à son disciple Persée ; le second fondateur de l’école, Chrysippe, est né en Cilicie, à Tarse ou à Soles, et trois de ses disciples, Zénon, Antipater et Archédème, sont aussi de Tarse ; de pays proprement sémites viennent Hérillus de Carthage, disciple de Zénon, et Boéthus de Sidon, disciple de Chrysippe : ceux qui sont issus des contrées les plus proches sont Cléanthe d’Assos (sur la côte éolienne), et deux autres disciples de Zénon, Sphaerus du Bosphore et Denys d’Héraclée, en Bithynie sur le Pont-Euxin ; dans la génération qui a suivi Chrysippe, Diogène de Babylone et Apollodore de Séleucie viennent de la lointaine Chaldée.
p.287 La plupart de ces villes n’avaient pas derrière elles, comme les cités de la Grèce continentale, de longues traditions d’indépendance nationale ; et, à cause des besoins du commerce, leurs habitants étaient disposés à voyager jusqu’aux pays les plus lointains ; le père de
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