Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
fragments. Les seuls ouvrages stoïciens que nous possédions, ceux de Sénèque, d’Épictète et de Marc-Aurèle datent de l’époque impériale, quatre siècles après la fondation du stoïcisme. C’est en recherchant les traces que l’ancien stoïcisme a laissées soit chez eux, soit chez d’autres écrivains que l’on peut reconstituer cet enseignement ; et fort difficilement, car nos principales sources sont d’époque fort postérieure ; ce sont des éclectiques comme Cicéron, dont les écrits philosophiques datent du milieu du I er siècle avant notre ère, et comme Philon d’Alexandrie (début de notre ère) ; ou des adversaires comme Plutarque qui, à la fin du I er siècle, écrit ses ouvrages Contre les Stoïciens et Des Contradictions des Stoïciens, le sceptique Sextus Empiricus, de la fin du II e siècle de notre ère, le médecin Galien, qui, à la même époque, écrit contre Chrysippe, enfin les pères de l’Église, et en particulier Origène, au III e siècle. Dans tous ces exposés, tronqués ou malveillants, c’est tout au plus si l’on doit mettre à part une source de première valeur, p.292 le résumé de la logique stoïcienne, que Diogène Laërce, en son livre VII (§ 49-83), a tiré de l’ Abrégé des philosophes de Dioclès Magnès, un cynique ami de Méléagre de Gadara, qui vivait au début du I er siècle avant notre ère. Sauf nette exception, toute cette littérature est née des conflits qui existèrent à partir du II e siècle entre le dogmatisme stoïcien et l’Académie ou les sceptiques ; c’est ainsi, par exemple, que notre principale source sur la doctrine stoïcienne de la connaissance est dans les Académiques de Cicéron, écrits tout exprès pour la combattre. Cet esprit polémique est défavorable à un compte rendu exact, et Plutarque, notamment, fausse plusieurs fois la pensée des Stoïciens pour mieux les mettre en contradiction avec eux-mêmes. De plus, ces écrits sont de date tardive, et à moins que les auteurs des doctrines ne soient désignés par leurs noms, il est souvent difficile de faire un départ entre les opinions des anciens Stoïciens, ceux du III e siècle, et les opinions du moyen stoïcisme au II e et au I er siècle ; d’ailleurs, même dans le cours de l’ancien stoïcisme, il y a bien des divergences de détail, malgré l’accord en gros. Il ne faut donc pas se dissimuler le caractère quelque peu artificiel d’un exposé d’ensemble du stoïcisme, construit avec des données aussi pauvres ; partant de la doctrine de Zénon, nous indiquons à l’occasion ce que ses successeurs Cléanthe ou Chrysippe en ont modifié ou abandonné.
III. — LES ORIGINES DU STOÏCISME
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Zénon de Cittium fut élève de Cratès le cynique , de Stilpon le Mégarique , de Xénocrate et de Polémon , les scholarques de l’Académie ; il fut en relation fréquente avec Diodore Cronos et son élève Philon le dialecticien. Voilà déjà des influences bien variées ; Zénon se vantait en outre de « lire les anciens », et sa doctrine est considérée à certains égards comme une rénovation de l’héraclitéisme. Mais ces influences signalées p.293 par les historiens anciens (en particulier Apollonius de Tyr, dans un livre Sur Zénon ) [413] laisse encore bien énigmatique l’éclosion du stoïcisme. Sans doute, il prit chez les Mégariques le goût de cette dialectique sèche et abstraite qui caractérise l’enseignement de l’ancien stoïcisme ; en outre celui qu’il fréquenta le plus, Stilpon, passe pour avoir eu le même dédain de préjugés que les cyniques et avoir mis le souverain bien dans l’âme impassible [414]. L’académicien Xénocrate, de son côté, exagérait à ce point le rôle de la vertu qu’elle lui paraissait être la condition du bonheur [415] ; Polémon mettait en valeur, comme les cyniques, la supériorité de l’ascèse sur l’éducation purement dialectique, et il définissait la vie parfaite une vie conforme à la nature. Speusippe, d’ailleurs, ne s’était-il pas élevé contre le plaisir avec presque autant de violence qu’Antisthènes ? Ainsi tout ce mouvement rigoriste et naturaliste, général dans les écoles à l’époque d’Alexandre, contribuait à affirmer et à renforcer l’influence du cynique Cratès, modérée cependant par les doctrines plus douces de l’Académie.
Mais il y a fort loin de ces influences générales à la doctrine stoïcienne, qui ne se
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