Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
de constance. Ce fut par une suite d’efforts qui n’étaient pas sans périls, de succès lents et peu décisifs, de luttes constamment renaissantes, qu’elles arrivèrent à leur but. L’inaction systématique qu’elles adoptèrent dès le commencement était le parti le plus sage et le plus sûr : il est des occasions où il ne faut que savoir attendre pour triompher. Les communes étaient unanimes, et formaient à elles seules la moitié numérique des états-généraux ; la noblesse comptait dans son sein des dissidents populaires ; la majorité du clergé, composée de quelques évêques amis de la paix, et de la nombreuse classe des curés, qui était le tiers-état de l’église, avait des dispositions favorables aux communes. La lassitude devait donc opérer la réunion ; c’est ce que le tiers espéra, ce que les évêques craignirent, et ce qui les engagea à se proposer pour médiateurs. Mais cette médiation devait être sans résultat, puisque la noblesse ne voulait point le vote par tête, ni les communes le vote par ordre. Aussi les conférences conciliatoires, après avoir été vainement prolongées, furent rompues par la noblesse, qui se prononça pour la vérification séparée.
Le lendemain de cette détermination hostile, les communes, résolues à se déclarer assemblée de la nation, invitèrent, au nom du dieu de paix et de l’intérêt public, le clergé à se réunir à elles. La cour, alarmée de cette démarche, intervint pour faire reprendre les conférences. Les premiers commissaires conciliateurs avaient eu mission de régler les différends des ordres, le ministère se chargea de régler les différends des commissaires. Par ce moyen, les états dépendaient d’une commission, et la commission avait pour arbitre le conseil du prince. Mais ces nouvelles conférences n’eurent pas une issue plus heureuse que les premières : elles traînèrent en longueur, sans qu’aucun des ordres voulût rien céder à l’autre, et la noblesse finit par les rompre en confirmant tous ses arrêtés.
Cinq semaines s’étaient déjà écoulées en pourparlers inutiles. Le tiers-état, voyant que le moment était venu de se constituer, que de plus longs retards indisposeraient contre lui la nation, dont le refus des ordres privilégiés lui avait obtenu la confiance, se décida à agir, et y mit la mesure et la fermeté qu’il avait montrées dans son inertie. Mirabeau annonça qu’un député de Paris avait une motion à faire ; et Sièyes, dont le caractère était timide, l’esprit entreprenant, qui avait beaucoup d’autorité par ses idées, et qui, plus que tout autre, était propre à motiver une décision, démontra l’impossibilité de l’accord, l’urgence de la vérification, la justice qu’il y avait à l’exiger en commun, et il fit décréter par l’assemblée que la noblesse et le clergé seraient invités à se rendre dans la salle des états pour y assister à la vérification qui aurait lieu tant en leur absence qu’en leur présence.
La mesure de la vérification générale fut suivie d’une autre plus énergique encore. Les communes, après avoir terminé la vérification, se constituèrent, sur la motion de Sièyes, en assemblée nationale. Cette démarche hardie, par laquelle l’ordre le plus nombreux, et le seul dont les pouvoirs étaient légalisés, se déclarait la représentation de la France, et méconnaissait les deux autres jusqu’à ce qu’ils eussent subi la vérification, tranchait des questions jusque-là indécises, et changeait l’assemblée des états en assemblée du peuple. Le régime des ordres disparaissait dans les pouvoirs politiques, et c’était le premier pas vers l’abolition des classes dans le régime privé. Ce mémorable décret du 17 juin contenait la nuit du 4 août ; mais il fallait défendre ce qu’on avait osé décider, et il était à craindre qu’on ne pût pas maintenir une pareille détermination.
Le premier arrêté de l’assemblée nationale fut un acte de souveraineté. Elle avait placé sous sa dépendance les privilégiés, en proclamant l’indivisibilité du pouvoir législatif. Il lui restait à contenir la cour par les impôts. Elle déclara leur illégalité, vota néanmoins leur perception provisoire tant qu’elle serait réunie, et leur cessation si elle était dissoute ; elle rassura les capitalistes en consolidant la dette publique, et pourvut aux besoins du peuple, en
Weitere Kostenlose Bücher