Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
devant le tribunal révolutionnaire avant le 9 thermidor ; on les y conduisit, à cette époque, pour dévoiler, au moyen de leur procédure, tous les crimes de Carrier. Les Nantais furent jugés avec une solennité affectée ; leur procès dura près d’un mois ; l’opinion eut le temps de se prononcer avec éclat, et, lorsqu’ils furent acquittés, on demanda de toutes parts justice du comité révolutionnaire de Nantes et du proconsul Carrier. Legendre renouvela l’accusation de Lecointre contre Billaud, Barrère, Collot et Vadier, qui furent généreusement défendus par Carnot, Prieur et Cambon, leurs anciens collègues, qui demandèrent d’être associés à leur sort. L’accusation de Lecointre n’eut pas de suite ; et l’on ne mit encore en jugement que les membres du comité révolutionnaire de Nantes : mais on put remarquer les progrès du parti thermidorien. Cette fois, les membres du comité furent obligés de recourir à la justification ; et l’on passa simplement à l’ordre du jour sur la dénonciation de Legendre, sans la déclarer calomnieuse, comme celle de Lecointre.
Cependant les démocrates révolutionnaires étaient encore très-puissants dans Paris : s’ils avaient perdu la commune, le tribunal, la convention, les comités, il leur restait encore les Jacobins et les faubourgs. C’était dans les sociétés populaires que leur parti se concentrait, surtout pour se défendre. Carrier s’y rendait assidûment, et il invoquait leur assistance : Billaud-Varennes et Collot d’Herbois s’y rendaient également, mais, étant un peu moins menacés, ils se montraient plus circonspects. Aussi leur reprocha-t-on leur silence. Le lion dort, répondit Billaud-Varennes ; mais son réveil sera terrible. Ce club avait été épuré après le 10 thermidor, et il avait félicité, au nom des sociétés régénérées, la convention sur la chute de Robespierre et la fin de la tyrannie. À cette époque, comme on poursuivait ses chefs et qu’on emprisonnait beaucoup de Jacobins dans les départements, il vint, au nom de toutes les sociétés affiliées, « faire entendre le cri de douleur qui retentissait de toutes les parties de la république, la voix des patriotes opprimés, plongés dans les cachots, d’où l’aristocratie venait de sortir. »
La convention, loin d’adhérer au vœu des Jacobins, leur interdit, pour ruiner leur influence, les pétitions collectives, les affiliations, les correspondances de la société mère avec les autres sociétés, et désorganisa de cette manière la fameuse confédération des clubs. Les Jacobins, repoussés dans la convention, s’agitèrent dans Paris, où ils étaient encore les maîtres. Ce fut alors que les thermidoriens convoquèrent aussi leur peuple, en réclamant l’appui des sections. En même temps, Fréron appela les jeunes gens aux armes, dans son journal de l’ Orateur du Peuple, et se mit à leur tête. Cette milice nouvelle, irrégulière, se nomma la Jeunesse dorée de Fréron. Ceux, qui la composaient, appartenaient tous à la classe riche et moyenne ; ils avaient adopté un costume particulier, qu’on appelait costume à la victime. Au lieu de la carmagnole des Jacobins, ils portaient l’habit carré et décolleté ; ils avaient les souliers très-découverts, les cheveux pendants sur les côtés, retroussés par derrière avec des tresses nommées cadenettes ; ils étaient armés de bâtons courts et plombés en forme d’assommoir. Une partie de ces jeunes gens et des sectionnaires était royaliste ; l’autre suivait l’impulsion du moment, qui était anti-révolutionnaire. Celle-ci agissait sans but et sans ambition, se prononçant pour le parti plus fort, dans une occasion surtout où, le parti le plus fort promettait, par son triomphe, le retour de l’ordre dont le besoin était général. L’autre combattait sous les thermidoriens contre les anciens comités, comme les thermidoriens avaient combattu sous les anciens comités contre Robespierre ; elle attendait l’instant d’agir pour son propre compte, ce qui arriva après la chute entière du parti révolutionnaire. Dans la situation violente où se trouvaient les deux partis, avec des craintes ou des ressentiments, ils se poursuivaient à outrance, et se chargeaient dans les rues, en criant : Vive la convention ! ou vive la montagne ! La Jeunesse dorée l’emportait au Palais-Royal, où elle était soutenue
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