Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
par les marchands ; mais les Jacobins étaient les plus forts dans le jardin des Tuileries, qui avoisinait leur club.
Ces querelles devinrent chaque jour plus animées, et Paris se transforma en un champ de bataille où le sort des partis fut abandonné aux armes. Cet état de désordre et de guerre devait avoir un terme ; et puisque les partis n’avaient pas la sagesse de s’entendre, il fallait que l’un d’eux l’emportât sur l’autre. Les thermidoriens étaient en progrès et la victoire devait leur appartenir. Le lendemain du jour où Billaud parla du réveil du lion dans la société populaire, il y eut une très-vive agitation à Paris. On voulait prendre d’assaut le club des Jacobins. On criait dans les rues : la grande conspiration des Jacobins ! les Jacobins hors la loi ! C’est à cette époque qu’on jugeait le comité révolutionnaire de Nantes. Celui-ci se disculpait en attribuant à Carrier les ordres sanguinaires qu’il avait exécutés, ce qui provoqua dans la convention l’examen de sa conduite. Carrier fut admis à se défendre avant d’être décrété. Il rejeta ses cruautés sur les cruautés des Vendéens eux-mêmes, et sur la fureur enivrante des guerres civiles. « Lorsque j’agissais, dit-il, les airs semblaient retentir encore des chants civiques de vingt mille martyrs qui avaient répété Vive la république ! au milieu des tortures. Comment l’humanité morte dans ces crises terribles eût-elle pu faire entendre sa voix ? Ceux qui s’élèvent contre moi, qu’eussent-ils fait à ma place ?… J’ai sauvé à Nantes la république, je n’ai vécu que pour ma patrie, je saurai mourir pour elle… » Sur cinq cents votants, quatre cent quatre-vingt-dix-huit se déclarèrent pour l’accusation, les deux autres la prononcèrent aussi, mais conditionnellement.
Les Jacobins, voyant qu’on allait des agents subalternes aux représentants eux-mêmes, se crurent perdus. Ils essayèrent de remuer la multitude, moins pour défendre Carrier, que pour soutenir leur parti de plus en plus menacé. Mais ils furent contenus par la troupe dorée et les sectionnaires qui se portèrent dans le lieu de leurs séances, pour dissoudre le club. Il y eut un combat assez vif. Les assiégeants brisèrent les fenêtres à coups de pierre, enfoncèrent les portes, et dispersèrent les Jacobins après quelque résistance de leur part. Ceux-ci se plaignirent à la convention des violences exercées contre eux. Rewbell, chargé de présenter un rapport à cet égard, ne leur fut point favorable : « Où la tyrannie s’est-elle organisée, dit-il ? aux Jacobins. Où a-t-elle eu ses suppôts et ses satellites ? aux Jacobins. Qui a couvert la France de deuil, porté le désespoir dans les familles, peuplé la république de bastilles, rendu le régime républicain si odieux, qu’un esclave, courbé sous le poids de ses fers, eût refusé d’y vivre ? les Jacobins. Qui regrette le régime affreux sous lequel nous avons vécu ? les Jacobins. Si vous n’avez pas le courage de vous prononcer dans ce moment, vous n’avez plus de république, parce que vous avez des Jacobins. » La convention les suspendit provisoirement pour les épurer et les réorganiser. On n’osait pas les détruire tout d’un coup. Les Jacobins, méconnaissant ce décret, se réunirent en armes dans le lieu de leurs séances ; la troupe thermidorienne qui les y avait déjà assiégés, vint les assaillir encore. Elle entoura le club en poussant le cri de vive la convention, à bas les Jacobins ! Ceux-ci se préparèrent à la défense ; ils quittèrent leurs sièges en criant vive la république ! ils s’emparèrent des portes, et tentèrent une sortie. Ils firent d’abord quelques prisonniers ; mais bientôt succombant sous le nombre, ils cédèrent la place, traversèrent les rangs des vainqueurs qui, après les avoir désarmés, les couvrirent d’humiliations, de huées, et même de coups. Ces expéditions illégales se faisaient avec tous les excès qui accompagnent les luttes des partis.
Les commissaires de la convention vinrent le lendemain fermer le club, mettre les scellés sur les registres et sur les papiers, et dès ce moment la société des Jacobins n’exista plus ; Cette corporation populaire avait puissamment servi la révolution, lorsqu’il avait fallu, pour repousser l’Europe, placer le gouvernement dans la multitude, et donner à la
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