Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
autre ; et qu’est-ce qu’une montagne, si ce n’est qu’une protestation éternelle contre l’égalité ?» Ces paroles furent couvertes d’applaudissements ; elles suffirent pour faire accueillir la pétition, et renverser ce monument de la victoire et de la domination d’un parti.
C’est alors qu’on rappela les conventionnels proscrits : depuis quelque temps on avait révoqué leur mise hors la loi. Isnard et Louvet écrivirent à l’assemblée, pour être réintégrés dans leurs droits : on leur objectait toujours les suites du 31 mai et l’insurrection des départements. « Je ne ferai point à la convention nationale, dit Chénier, qui parla en leur faveur, l’injure de lui remettre devant les yeux le fantôme du fédéralisme, dont on a osé faire le principal chef d’accusation de vos collègues. Ils ont fui, dira-t-on ; ils se sont cachés. Voilà donc leur crime ! et plût aux destinées de la république, que ce crime eût été celui de tous ! Pourquoi ne s’est-il pas trouvé des cavernes assez profondes pour conserver à la patrie les méditations de Condorcet et l’éloquence de Vergniaud ? Pourquoi, le 10 thermidor, une terre hospitalière n’a-t-elle pas rendu à la lumière cette colonie d’énergiques patriotes et de républicains vertueux ? Mais on craint des projets de vengeance de la part de ces hommes, aigris par l’infortune. Instruits à l’école du malheur, ils ont appris à gémir sur les erreurs humaines. Non, non, Condorcet, Rabaud Saint-Étienne, Vergniaud, Camille Desmoulins, ne veulent pas d’holocaustes de sang ; et ce n’est point par des hécatombes qu’on apaisera leurs mânes ! » La gauche repoussa la motion de Chénier. « Vous allez, s’écria Bentabole, réveiller toutes les «passions. Si vous attaquez l’insurrection du 31 mai, vous faites le procès aux quatre-vingt mille hommes qui y ont concouru. – Gardons-nous, répondit, Sièyes, de confondre l’ouvrage de la tyrannie avec celui des principes. Lorsque des hommes, appuyés d’une autorité subalterne, rivale de la nôtre, furent venus à bout d’organiser le plus grand de tous les crimes, dans les fatales journées du 31 mai et du 2 juin, ce ne fut point un ouvrage du patriotisme, mais un attentat de la tyrannie : aussi, depuis cette époque, vous avez vu la convention dominée, la majorité opprimée, la minorité dictant des lois. La session actuelle se partage en trois époques : jusqu’au 31 mai, oppression de la convention par le peuple ; jusqu’au 9 thermidor, oppression du peuple par la convention, tyrannisée elle-même ; enfin, depuis le 9 thermidor, la justice règne, parce que la convention a repris tous ses droits. » il demanda le rappel des membres proscrits, comme gage de réunion dans l’assemblée et de salut pour la république. Merlin de Douai proposa aussitôt leur rentrée au nom du comité de salut public ; elle fut accordée, et l’on vit reprendre leurs sièges, après dix-huit mois de proscription, à vingt-deux conventionnels, parmi lesquels se trouvaient Isnard, Louvet, Lanjuinais, Kervelegan, Henri Larivière, Laréveillère-Lepeaux, Lesage, restes de la brillante et infortunée Gironde ; ils s’allièrent avec le parti modéré, qui se composa de plus en plus des débris de partis divers. D’anciens ennemis, oubliant leurs ressentiments et leur rivalité de domination, parce qu’ils avaient les mêmes intérêts et le même but, s’unirent ensemble. C’était un commencement de pacification entre ceux qui voulaient la république contre les royalistes, et une constitution praticable contre les révolutionnaires. À cette époque, toutes les mesures à l’égard des fédéralistes furent révoquées, et les Girondins tinrent la tête de la contre-révolution républicaine.
Cependant, la convention fut entraînée beaucoup trop loin par les réacteurs ; elle tomba dans l’excès de la justice, en voulant tout réparer et tout punir. Il importait, après l’abolition du régime décemviral, de proclamer l’oubli du passé, et de fermer le gouffre de la révolution, après y avoir jeté quelques victimes expiatoires. La sécurité seule, amène la pacification, et la pacification seule permet la liberté. En suivant de nouveau une marche passionnée, on ne fit qu’opérer un déplacement de tyrannie, de violence et de calamités. Jusque-là on avait sacrifié la bourgeoisie à la
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