Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
chefs d’accusation ; il leur imputa toutes les mesures de cruauté ou de tyrannie qu’ils rejetaient sur les triumvirs, et il les appela les continuateurs de Robespierre. Cette dénonciation mit le trouble dans l’assemblée, et souleva tous ceux qui soutenaient les comités, ou qui ne voulaient plus de divisions dans la république. « Si les crimes que Lecointre nous reproche, dit Billaud-Varennes, étaient prouvés, s’ils étaient aussi réels qu’ils sont absurdes et chimériques, sans doute il n’est aucun de nous dont la tête ne dût tomber sur l’échafaud. Mais je défie Lecointre de prouver, par des pièces justificatives, par des témoignages dignes de foi, aucun des faits dont il nous accuse. » Il réfuta les chefs d’accusation de Lecointre ; il reprocha à ses ennemis d’être des hommes corrompus, des intrigants, qui voulaient les sacrifier à la mémoire de Danton, d’un conspirateur odieux, l’espérance de toutes les factions parricides. « Que veulent-ils donc ces hommes, poursuivit-il, qui nous appellent les continuateurs de Robespierre ? Citoyens, savez-vous ce qu’ils veulent ? Faire mourir la liberté sur la tombe du tyran. » La dénonciation de Lecointre était prématurée ; la convention presque entière la déclara calomnieuse. Les accusés et leurs amis se livraient aux éclats d’une indignation non contenue et encore toute puissante, car ils étaient attaqués pour la première fois ; l’accusateur était presque interdit et peu soutenu. Aussi Billaud-Varennes et les siens l’emportèrent facilement cette fois.
Quelques jours après, l’époque du renouvellement des comités par tiers arriva. Le sort désigna, comme membres sortants, Barrère, Carnot, Robert-Lindet, au comité de salut public ; Vadier, Vouland, Moyse Bayle, au comité de sûreté générale. On y fit entrer des thermidoriens ; et Collot-d’Herbois, ainsi que Billaud-Varennes, s’y trouvant trop faibles, donnèrent leur démission. Une chose contribua davantage encore à la ruine de leur parti, en soulevant avec violence l’opinion publique contre lui ; ce fut la publicité donnée aux crimes de Joseph Lebon et Carrier, deux des proconsuls du comité. Ils avaient été envoyés, l’un à Arras et à Cambrai, frontière exposée aux invasions ; l’autre à Nantes, dernière limite de la guerre de la Vendée : ils avaient signalé leur mission par-dessus les autres, en déployant une cruauté de caractère et des caprices de tyrannie, qui, du reste, viennent toujours à ceux qui sont investis de la toute-puissance humaine. Lebon, jeune, d’un tempérament assez frêle, était naturellement doux. Dans une première mission, il avait été humain ; mais il reçut des reproches du comité, et il fut envoyé à Arras avec l’ordre de s’y montrer un peu plus révolutionnaire. Pour n’être pas en arrière de la politique inexorable des comités, il se livra aux excès les plus inouïs : il mêla la débauche à l’extermination ; il eut toujours en sa présence la guillotine, qu’il appelait sainte, et fit sa compagnie habituelle du bourreau, qu’il admettait à sa table. Carrier, ayant plus de victimes à frapper, avait encore surpassé Lebon ; il était bilieux, fanatique et naturellement sanguinaire. Il ne lui fallait qu’une occasion pour exécuter tout ce que l’imagination de Marat lui-même n’eût pas osé concevoir. Envoyé sur les bords d’un pays insurgé, il condamnait à mort toute la population ennemie, prêtres, femmes, enfants, vieillards, jeunes filles. Comme les échafauds ne suffisaient pas, il avait remplacé le tribunal révolutionnaire par une compagnie d’assassins, nommée compagnie de Marat, et la guillotine par des bateaux à soupape, au moyen desquels il noyait ses victimes dans la Loire. Des cris de vengeance et de justice s’élevèrent contre tous ces forfaits, après le 9 thermidor. Lebon fut attaqué le premier, parce qu’il était plus particulièrement l’agent de Robespierre : on en vint plus tard à Carrier, qui l’était du comité de salut public, et dont Robespierre avait désapprouvé la conduite.
Il y avait dans les prisons de Paris quatre-vingt-quatorze habitants de Nantes, sincèrement attachés à la révolution, et qui avaient défendu leur ville avec courage lors de l’attaque des Vendéens. Carrier les avait transférés à Paris comme fédéralistes On n’avait pas osé les traduire
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