Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
victoires, était hors d’état de consentir à une paix générale. Il avait augmenté le mécontentement par l’établissement de certaines taxes et par la réduction de la dette publique à un tiers consolidé, seul payable en argent ; ce qui avait ruiné les rentiers. Il fallait qu’il se maintînt par la guerre. L’immense classe des soldats ne pouvait être licenciée sans danger. Outre que le directoire se fût privé de sa force et se fût mis à la merci de l’Europe, il eût tenté une chose qui ne se fait jamais sans secousse que dans un temps d’extrême calme et d’un grand développement d’aisance et de travail. Le directoire fut poussé, par sa position, à l’expédition d’Égypte et à l’invasion de la Suisse.
Bonaparte était alors de retour à Paris. Le vainqueur de l’Italie et le pacificateur du continent fut reçu avec un enthousiasme obligé de la part du directoire, mais bien senti par le peuple. On lui accorda des honneurs que n’avait encore obtenus aucun général de la république. On dressa un autel de la patrie dans le Luxembourg, et il passa sous une voûte de drapeaux, conquis en Italie, pour se rendre à la cérémonie triomphale, dont il était l’objet. Il fut harangué par Barras, président du directoire, qui, après l’avoir félicite de ses victoires, l’invita « d’aller couronner une si belle vie par une conquête que la grande nation devait à sa dignité outragée. » Cette conquête était celle de l’Angleterre. On paraissait tout préparer pour une descente, tandis qu’on avait réellement en vue l’invasion de l’Égypte.
Une pareille entreprise convenait et au directoire et à Bonaparte. La conduite indépendante de ce général en Italie, son ambition qui perçait par élans à travers une simplicité étudiée, rendaient sa présence dangereuse. Il craignait, de son côté, de compromettre, par son inaction, l’idée déjà immense qu’on avait conçue de lui ; car les hommes exigent de ceux qu’ils font grands, toujours plus qu’ils ne peuvent. Ainsi, pendant que le directoire voyait dans l’expédition d’Égypte l’éloignement d’un général redoutable, l’espérance d’attaquer les Anglais par l’Inde, Bonaparte y vit une conception gigantesque, un emploi de son goût et un nouveau moyen d’étonner les hommes. Il partit de Toulon, le 3o floréal an VI (19 mai 1798), avec une flotte de quatre cents voiles et une partie des troupes d’Italie ; il cingla vers Malte, dont il se rendit maître, et de là vers l’Égypte.
Le directoire, qui violait la neutralité de la Porte ottomane pour atteindre les Anglais, viola celle de la Suisse pour expulser les émigrés de son territoire. Les opinions françaises avaient pénétré dans Genève et dans le pays de Vaud ; mais la politique de la confédération suisse était ouvertement contre-révolutionnaire ; à cause de l’influence de l’aristocratie de Berne. On avait chassé des cantons tous les Suisses qui s’étaient montrés partisans de la république française. Berne était le quartier général des émigrés, et c’était de là que se formaient tous les complots contre la révolution. Le directoire se plaignit ; il ne fut pas satisfait. Les Vaudois placés par les anciens traités sous la protection de la France, invoquèrent son appui contre la tyrannie de Berne. L’appel des Vaudois, ses propres griefs, le désir d’étendre le système républicain-directorial en Suisse, beaucoup plus que la tentation de prendre le petit trésor de Berne, comme on le lui a reproché, décidèrent le directoire. Il y eut des pourparlers qui ne menèrent à rien, et la guerre s’engagea. Les Suisses se défendirent avec beaucoup de courage et d’obstination, et crurent ressusciter le temps de leurs ancêtres ; mais ils succombèrent. Genève fut réunie à la France, et la Suisse échangea son antique constitution pour la constitution de l’an III. Dès ce moment, il exista deux partis dans la confédération ; dont l’un fut pour la France et la révolution, l’autre pour la contre-révolution et l’Autriche. La Suisse cessa d’être une barrière commune, et devint le grand chemin de l’Europe.
Cette révolution fut bientôt suivie de celle de Rome. Le général Duphot fut tué à Rome dans une émeute ; et en châtiment de cet attentat auquel le gouvernement pontifical ne s’opposa point, Rome fut changée en république. Tout cela
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