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Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814

Titel: Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Auguste-Marie-Alexis Mignet
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éprouvaient, non sans raison, de sérieuses alarmes pour la liberté. Mais lorsqu’ils témoignaient des craintes sur les desseins de Bonaparte, dans lequel ils voyaient un César ou un Cromwell, on leur répondait par ces paroles du général   : Mauvais rôles, rôles usés, indignes d’un homme de sens, quand ils ne le seraient pas d’un homme de bien. Ce serait une pensée sacrilège que celle d’attenter au gouvernement repré sentatif, dans le siècle des lumières et de la liberté. Il n’y aurait qu’un fou qui voulût de gaîté de cœur faire perdre la gageure de la république contre la royauté, après l’avoir soutenue avec quelque gloire et quelques périls. Cependant l’importance qu’il s’accordait dans ses proclamations était de mauvais augure. Il reprochait également au directoire la situation de la France d’une manière tout-à-fait extraordinaire   : « Qu’avez-vous fait, leur disait-il, de cette France, que je vous ai laissée si brillante   ? Je vous ai laissé la paix, j’ai retrouvé la guerre   ; je vous ai laissé des victoires, j’ai retrouvé des revers   ; je vous ai laissé les millions de l’Italie, et j’ai trouvé partout des lois spoliatrices et la misère. Qu’avez-vous fait de cent mille Français que je connaissais, tous mes compagnons de gloire   ? Ils sont morts… Cet état de choses ne peut durer   ; avant trois ans, il nous mènerait au despotisme. » C’était la première fois, depuis dix années, qu’un homme rapportait tout à lui seul, qu’il demandait compte de la république comme de son propre bien. On est douloureusement surpris en voyant un nouveau venu de la révolution s’introduire dans l’héritage, si laborieusement acquis , de tout un peuple.
    Le 19 brumaire, les membres des conseils se rendirent à Saint-Cloud. Sièyes et Roger-Ducos accompagnèrent Bonaparte sur ce nouveau champ de bataille   ; ils s’étaient rendus à Saint-Cloud dans l’intention de s’opposer aux desseins des conjurés. Sièyes, qui entendait la tactique des révolutions, voulait, pour assurer les événements, qu’on arrêtât provisoirement leurs chefs, et qu’on n’admît dans les conseils que la masse modérée   ; mais Bonaparte s’y était refusé. Il n’était pas homme de parti   ; et n’ayant agi et vaincu jusque-là qu’avec des régiments, il croyait entraîner des conseils législatifs, comme une armée, par un mot d’ordre. La galerie de Mars avait été préparée pour les anciens   ; l’orangerie, pour les cinq-cents. Une force armée considérable entourait le siège de la législature, comme la multitude, au 2 juin, entourait la convention. Les républicains, réunis en groupe dans les jardins, attendaient l’ouverture des séances   ; ils étaient agités d’une généreuse indignation contre la brutalité militaire dont ils étaient menacés   ; ils se communiquaient leurs projets de résistance. Le jeune général, suivi de quelques grenadiers, parcourait les cours et les appartements   ; et, se livrant prématurément à son caractère, il disait, comme le vingtième roi d’une dynastie   : Je ne veux plus de factions   : il faut que cela finisse   ; je n’en veux plus absolument. Vers deux heures après midi, les conseils se réunirent dans leurs salles respectives au bruit des instruments, qui exécutaient la Marseillaise.
    Dès que la séance est ouverte, Émile Gaudin, l’un des conjurés, monte à la tribune des cinq-cents. Il propose de remercier le conseil des anciens des mesures qu’il a prises, et de le faire expliquer sur le moyen de sauver la république. Cette motion devient le signal du plus violent tumulte, de tous les coins de la salle s’élèvent des cris contre Gaudin. Les députés républicains assiègent la tribune et le bureau que présidait Lucien Bonaparte. Les conjurés Cabanis, Boulay (de la Meurthe), Chazal, Gaudin, Lucien, etc., pâlissent sur leurs bancs. Après une longue agitation au milieu de laquelle personne ne peut se faire entendre, le calme se rétablit un moment et Delbred propose de renouveler le serment à la constitution de l’an III. Aucune voix ne s’élevant contre cette motion qui devenait capitale dans une pareille conjoncture, le serment est prêté avec une unanimité et un accent d’enthousiasme qui compromettent la conjuration.
    Bonaparte, instruit de ce qui se passait aux cinq-cents, et placé dans l’extrême péril d’une destitution et d’une

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