Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
arrêtèrent leur plan d’attaque contre la constitution de l’an III. Sièyes se chargea de préparer les conseils par les commissions des inspecteurs, qui avaient en lui une confiance illimitée. Bonaparte dut gagner les généraux et les divers corps de troupes qui se trouvaient à Paris, et qui montraient beaucoup d’enthousiasme et de dévouement pour sa personne. On convint de convoquer, d’une manière extraordinaire, les membres les plus modérés des conseils, de peindre aux anciens les dangers publics ; de leur demander, en leur présentant l’imminence du jacobinisme, la translation du corps législatif à Saint-Cloud et la nomination du général Bonaparte au commandement de la force armée, comme le seul homme qui pût sauver la patrie ; d’obtenir ensuite, au moyen du nouveau pouvoir militaire, la désorganisation du directoire et la dissolution momentanée du corps législatif. L’entreprise fut fixée au 18 brumaire, au matin.
Pendant ces trois jours le secret fut fidèlement gardé. Barras, Moulins et Gohier, qui formaient la majorité du directoire, dont Gohier était alors président, auraient pu, en prenant l’avance sur les conjurés, comme au 18 fructidor, déjouer leur coup d’état. Mais ils croyaient à des espérances de leur part, et non à des projets arrêtés, Le 18 au matin, les membres des anciens furent convoqués d’une manière inusitée par les inspecteurs ; ils se rendirent aux Tuileries, et entrèrent en séance vers les sept heures, sous la présidence de Lemercier. Cornudet, Lebrun et Fargues ; trois des conjurés les plus influents dans le conseil, présentèrent le tableau le plus alarmant de la situation publique ; ils assurèrent, que les Jacobins venaient en foule à Paris de tous les départements, qu’ils voulaient rétablir le gouvernement révolutionnaire, et que la terreur ravagerait de nouveau la république, si le conseil n’avait pas le courage et la sagesse d’en prévenir le retour. Un autre conjuré, Régnier (de la Meurthe), demanda aux anciens, déjà ébranlés, qu’en vertu du droit que leur conférait la constitution, ils transférassent le corps législatif à Saint-Cloud, et que Bonaparte, nommé par eux commandant de la 17e division militaire, fût chargé de la translation. Soit que le conseil entier fût complice de cette manœuvre, soit qu’il fût frappé d’une crainte réelle, d’après une convention si précipitée et des discours si alarmants, il accorda tout ce que les conjurés demandèrent.
Bonaparte attendait avec impatience le résultat de cette délibération, dans sa maison, rue du Mont-Blanc ; il était entouré de généraux, du commandant de la garde du directoire, Lefèvre, et de trois régiments de cavalerie, qu’il devait passer en revue. Le décret du conseil des anciens, rendu à huit heures, lui fut apporté à huit heures et demie par un messager d’état. Il reçut les félicitations de tous ceux qui formaient son cortège : les officiers tirèrent leurs épées en signe de fidélité. Il se mit à leur tête, et ils marchèrent aux Tuileries ; il se rendit à la barre du conseil des anciens, prêta serment de fidélité, et nomma pour son lieutenant Lefèvre, chef de la garde directoriale.
Néanmoins ce n’était là qu’un commencement de succès. Bonaparte était chef du pouvoir armé ; mais le pouvoir exécutif du directoire et le pouvoir législatif des conseils existaient encore. Dans la lutte qui devait infailliblement s’établir, il n’était pas sûr que la grande et, jusque-là, victorieuse force de la révolution ne remportât point. Sièyes et Roger-Ducos se rendirent du Luxembourg au camp législatif et militaire des Tuileries, et donnèrent leur démission. Barras, Moulins et Gohier, avertis de leur côté, mais un peu tard, de ce qui se passait, voulurent user de leur pouvoir, et s’assurer de leur garde ; mais celle-ci, ayant reçu, par Bonaparte, communication du décret des anciens, refusa de leur obéir. Barras, découragé, envoya sa démission, et partit pour sa terre de Grosbois. Le directoire fut dissous de fait ; et il y eut un antagoniste de moins dans la lutte. Les cinq-cents et Bonaparte restèrent seuls en présence.
Le décret du conseil des anciens et des proclamations de Bonaparte furent affichés sur les murs de Paris. On apercevait dans cette grande ville l’agitation qui accompagne les événements extraordinaires. Les républicains
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