Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
lui-même dans les mémoires publiés en son nom : « Les idées de Napoléon étaient fixées (7) ; mais il lui fallait pour les réaliser le secours du temps et des événements. L’organisation du consulat n’avait rien de contradictoire avec elles ; il accoutumait à l’unité, et c’était un premier pas. Ce pas fait, Napoléon demeurait assez indifférent aux formes et dénominations des divers corps constitués. Il était étranger à la révolution… Sa sagesse était de marcher à la journée, sans s’écarter d’un point fixe, étoile polaire sur laquelle Napoléon va prendre sa direction pour conduire la révolution au port où il veut la faire aborder. »
Il fit marcher de front, au commencement de 1802, trois grands projets qui tendaient au même but. Il voulut constituer le clergé, qui n’avait encore qu’une existence religieuse ; créer, par la Légion d’Honneur, un ordre militaire permanent dans l’armée ; et rendre son propre pouvoir d’abord viager, ensuite héréditaire. Bonaparte s’était installé aux Tuileries, où il reprenait peu à peu les usages et le cérémonial de la vieille monarchie. Il songeait déjà à mettre des corps intermédiaires entre le peuple et lui. Depuis quelque temps, il était en négociation avec le pape Pie VII pour les affaires du culte. Le fameux concordat qui créait neuf archevêchés, quarante-un évêchés, avec érection de chapitres, qui établissait le clergé dans l’état et le remettait sous la monarchie extérieure du pape, fut signé à Paris, le 15 juillet 1801 ; ratifié à Rome, le 15 août 1801.
Bonaparte, qui avait détruit la liberté de la presse, créé des tribunaux exceptionnels, et qui s’éloignait de plus en plus des principes de la révolution, comprit qu’il fallait, avant d’aller plus loin, rompre tout-à-fait avec le parti libéral du 18 brumaire. En ventose an X (mars 1802), les tribuns les plus énergiques furent éliminés par une simple opération du sénat. Le tribunal fut réduit à quatre-vingts membres, et le corps législatif subit une épuration semblable. Environ un mois après, le 15 germinal (6 avril 1802), Bonaparte, ne redoutant plus d’opposition, soumit le concordat à l’acceptation de ces assemblées, dont il avait ainsi préparé l’obéissance. Elles l’adoptèrent à une très-forte majorité. Le dimanche et les quatre grandes fêtes religieuses furent rétablis, et dès ce moment le gouvernement cessa de suivre le système décadaire. Ce fut le, premier abandon du calendrier républicain. Bonaparte espéra s’attacher le parti sacerdotal, plus disposé qu’aucun autre à l’obéissance passive ; enlever ainsi le clergé à l’opposition royaliste, et le pape aux intérêts de la coalition.
Le concordat fut inauguré en grande pompe dans l’église de Notre-Dame. Le sénat, le corps législatif, le tribunal, et les principaux fonctionnaires, assistèrent à cette cérémonie nouvelle. Le premier consul s’y rendit dans les voitures de l’ancienne cour, avec l’entourage et l’étiquette de la vieille monarchie ; des salves d’artillerie annoncèrent ce retour du privilège et cet essai de la royauté. Une messe pontificale fut célébrée par le cardinal légat Caprara, et l’on fit entendre au peuple, dans une proclamation, un langage depuis long-temps inaccoutumé : « C’était au souverain pontife, disait-on, que l’exemple des siècles et la raison commandaient de recourir pour rapprocher les opinions et réconcilier les cœurs. Le chef de l’église a pesé dans sa sagesse et dans l’intérêt de l’église les propositions que l’intérêt de l’état avait dictées ». Il y eut le soir illumination et concert au jardin des Tuileries. Les militaires se rendirent à contre-cœur à la cérémonie de l’inauguration, et témoignèrent hautement leur désapprobation. De retour dans son palais, Bonaparte questionna à ce sujet le général Delmas. – Comment, lui dit-il, avez-vous trouvé la cérémonie ? – C’était une belle capucinade, répondit Delmas ; il n’y manquait qu’un million d’hommes qui ont été tués pour détruire ce que vous rétablissez.
Un mois après, le 25 floréal an X (15 mai 1802), il fit présenter un projet de loi relatif à la création d’une Légion d’Honneur. Cette légion devait être composée de quinze cohortes de dignitaires à vie, disposés dans un ordre hiérarchique, ayant un
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