Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
centre, une organisation et des revenus. Le premier consul était le chef de la légion. Chaque cohorte était composée de sept grands officiers, vingt commandants, trente officiers, et trois cent cinquante légionnaires. Le but de Bonaparte fut de commencer une noblesse nouvelle. Il s’adressa au sentiment, mal éteint, de l’inégalité. En discutant ce projet de loi dans le conseil d’état, il ne craignit pas de faire connaître ses intentions aristocratiques. Le conseiller d’état Berlier ayant désapprouvé une institution aussi contraire à l’esprit de la république, dit : « que les distinctions étaient les hochets de la monarchie. – Je défie, répondit le premier consul (8) , qu’on me montre une république, ancienne, ou moderne, dans laquelle il n’y ait pas eu de distinctions. On appelle cela des hochets. Eh bien ! c’est avec des hochets que l’on mène les hommes. Je ne dirais pas cela à une tribune ; mais dans un conseil de sages, et d’hommes d’état, on doit tout dire. Je ne crois pas que le peuple français aime LA LIBERTÉ ET L’ÉGALITÉ. Les Français ne sont point changés par dix ans de révolution ; ils n’ont qu’un sentiment, L’HONNEUR. Il faut donc donner de l’aliment à ce sentiment-là ; il leur faut des distinctions. Voyez comme le peuple se prosterne devant LES CRACHATS des étrangers ; ils en ont été surpris ; aussi ne manquent-ils pas de les porter… On a tout détruit ; il s’agit de recréer. Il y a un gouvernement, des pouvoirs ; mais tout le reste de la nation, qu’est-ce ce ? des grains de sable. Nous avons au milieu de nous les anciens privilèges, organisés de principes et d’intérêts, et qui savent bien ce qu’ils veulent. Je peux compter nos ennemis. Mais nous, nous sommes épars, sans système, sans réunion, sans contact. Tant que j’y serai, je réponds bien de la république ; mais il faut prévoir l’avenir. Croyez-vous que la république soit définitivement assise ? Vous vous tromperiez fort. Nous sommes maîtres de le faire ; mais nous ne l’avons pas et nous ne l’aurons pas, si nous ne jetons point sur le sol de la France quelques masses de granit ». Bonaparte annonçait par là tout un système de gouvernement opposé à celui que la révolution se proposait d’établir, et que réclamait la société nouvelle.
Cependant, malgré la docilité du conseil d’état, malgré l’épuration subie par le tribunal et le corps législatif, ces trois corps combattirent vivement une loi qui recommençait l’inégalité. La Légion d’Honneur n’obtint dans le conseil d’état que quatorze voix contre dix, dans le tribunat que trente-huit contre cinquante-six, et dans le corps législatif que cent soixante-six contre cent dix. L’opinion montra pour ce nouvel ordre de chevalerie, une répugnance encore plus marquée : ceux qu’on en investit d’abord en furent presque honteux, et le reçurent avec une sorte de dérision. Mais Bonaparte suivit sa marche contre-révolutionnaire, sans s’inquiéter de mécontentements qui ne pouvaient plus enfanter de résistance.
Il voulut assurer son pouvoir par l’établissement du privilège, et affermir le privilège, par la durée de son pouvoir. Sur la proposition de Chabot (de l’Allier) le tribunal émit le vœu : – Qu’il fût donné au général Bonaparte, premier consul, UN GAGE ÉCLATANT de la reconnaissance nationale. Conformément à ce vœu, le 6 mai 1802, un sénatus-consulte organique, nomma Bonaparte consul pour dix ans de plus.
Mais la prolongation du consulat ne parut point suffisante à Bonaparte ; et deux mois après, le 2 août 1802, le sénat, sur la décision du tribunal et du corps législatif, et avec l’assentiment du peuple consulté par des registres publics, porta le décret suivant :
1. Le peuple français nomme, et le sénat proclame, Napoléon Bonaparte premier consul à vie ;
2. Une statue de la paix, tenant d’une main le laurier de la victoire et de l’autre le décret du sénat, attestera à la postérité la reconnaissance de la nation ;
3. Le sénat portera au premier consul l’expression de la confiance, de l’amour et de l’admiration du peuple français.
On compléta cette révolution, en accommodant au consulat à vie, et par un simple sénatus-consulte organique, la constitution déjà assez despotique du consulat temporaire. « Sénateurs, dit Gernudet en leur
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