Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
fusils n’arrivaient pas, le soir approchait, on craignait pour la nuit une attaque de la part des troupes. On se crut trahi en apprenant que cinq milliers de poudre sortaient secrètement de Paris, et que le peuple des barrières venait de les arrêter. Mais bientôt des caisses arrivèrent portant pour étiquette artillerie ; leur vue calma l’effervescence, on les escorta à l’Hôtel-de-Ville, on crut qu’elles contenaient les fusils attendus de Charleville : on les ouvrit, et on les trouva remplies de vieux linge et de morceaux de bois. Alors le peuple cria à la trahison, il éclata en murmures et en menaces contre le comité et contre le prévôt des marchands. Celui-ci s’excusa, dit qu’il avait été trompé, et, pour gagner du temps, ou pour se débarrasser de la foule, il l’envoya aux Chartreux, afin d’y chercher des armes ; mais il n’y en avait point, et elle en revint plus défiante et plus furieuse.
Le comité vit alors qu’il n’avait pas d’autres ressources pour armer Paris, et pour guérir le peuple de ses soupçons, que de faire forger des piques ; il ordonna d’en fabriquer cinquante mille, et sur-le-champ on se mit à l’œuvre. Pour éviter les excès de la nuit précédente, la ville fut illuminée, et des patrouilles la parcoururent dans tous les sens.
Le lendemain, le peuple qui n’avait pas pu trouver des armes la veille, vint en redemander de très-grand matin au comité, en lui reprochant les refus et les défaites de la veille. Le comité en avait fait chercher vainement ; il n’en était point venu de Charleville, on n’en avait point trouvé aux Chartreux, l’arsenal même était vide. Le peuple, qui ne se contentait ce jour-là d’aucune excuse, et qui se croyait de plus en plus trahi, se porta en masse vers l’Hôtel-des-Invalides qui contenait un dépôt d’armes considérable. Il ne montra aucune crainte des troupes établies au Champ-de-Mars, pénétra dans l’hôtel malgré les instances du gouverneur, M. de Sombreuil, trouva vingt-huit mille fusils cachés dans les caves, s’en empara, prit les sabres, les épées, les canons, et porta toutes ces armes en triomphe. Les canons furent postés à l’entrée des faubourgs, au château des Tuileries, sur les quais, sur les ponts, pour la défense de la capitale contre l’invasion des troupes, à laquelle on s’attendait d’un moment à l’autre.
Pendant cette matinée même on donna l’alarme, en annonçant que les régiments postés à Saint-Denis étaient en marche, et que les canons de la Bastille étaient braqués sur la rue Saint-Antoine. Le comité envoya de suite à la découverte, plaça des citoyens pour défendre ce côté de la ville, et députa au gouverneur de la Bastille pour l’engager à retirer ses canons et à ne commettre aucune hostilité. Cette alerte, la crainte qu’inspirait la forteresse, la haine des abus qu’elle protégeait, la nécessité d’occuper un point si important, et de ne plus le laisser à ses ennemis dans un moment d’insurrection, dirigèrent l’attention de la multitude de ce côté. Depuis neuf heures du matin jusqu’à deux heures, il n’y eut qu’un mot d’ordre d’un bout de Paris à l’autre, À la Bastille ! à la Bastille ! Les citoyens s’y rendaient de tous les quartiers par pelotons, armés de fusils, de piques, de sabres ; la foule qui l’environnait était déjà considérable ; les sentinelles de la place étaient postées, et les ponts levés comme dans un moment de guerre.
Un député du district de Saint-Louis de la Culture, nommé Thuriot de la Rosière, demanda alors, à parler au gouverneur, M. Delaunay. Admis en sa présence, il le somma de changer la direction des canons. Le gouverneur répondit que les pièces avaient été de tous temps sur les tours ; qu’il n’était pas en son pouvoir de les faire descendre ; que, du reste, instruit des inquiétudes des Parisiens, il les avait fait retirer de quelques pas et sortir des embrasures. Thuriot obtint avec peine de pénétrer plus avant, et d’examiner si l’état de la forteresse était aussi rassurant pour la ville que le disait le gouverneur. Il trouva, en avançant, trois canons dirigés sur les avenues de la place, et prêts à balayer ceux qui entreprendraient de la forcer. Environ quarante Suisses et quatre-vingts invalides étaient sous les armes. Thuriot les pressa, ainsi que l’état-major de la place, au nom de l’honneur
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