Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
assaillants, il ne vous arrivera rien. – Sur cette assurance ils ouvrirent la porte, abaissèrent le pont, et les assiégeants se précipitèrent dans la Bastille. Ceux qui étaient à la tête de la multitude voulurent sauver de sa vengeance le gouverneur, les Suisses et les invalides ; mais elle criait : Livrez-nous-les, livrez-nous-les, ils ont fa it feu sur leurs concitoyens, ils méritent d’être pendus. – Le gouverneur, quelques Suisses et quelques invalides, furent arrachés à la protection de leurs défenseurs, et mis à mort par la foule implacable.
Le comité permanent ignorait l’issue du combat. La salle de ses séances était encombrée d’une multitude furieuse qui menaçait le prévôt des marchands et les électeurs. Flesselles commençait à être inquiet de sa position. Il était pâle, troublé ; en butte aux reproches et aux plus furieuses menaces, on l’avait forcé de se rendre de la salle du comité dans la salle de l’assemblée générale où était réunie une immense quantité de citoyens. – Qu’il vienne, qu’il nous suive, avait-on crié de toutes parts. – C’en est trop, répondit Flesselles, marchons puisqu’ils le veulent, allons où je suis attendu. – Mais à peine était-il arrivé dans la grande salle, que l’attention de la multitude fut détournée par des cris qui s’élevèrent de la place de Grève. On entendit : Victoire ! victoire ! liberté ! C’étaient les vainqueurs de la Bastille, dont on annonçait l’arrivée. Bientôt ils entrèrent eux-mêmes dans la salle, en offrant la pompe la plus populaire et la plus effrayante. Ceux qui s’étaient le plus signalés, étaient portés en triomphe et couronnés de lauriers : ils étaient escortés de plus de quinze cents hommes, les yeux ardents, les cheveux en désordre, ayant toutes sortes d’armes, se pressant les uns les autres, et faisant craquer les boiseries sous leurs pas. L’un portait les clefs et le drapeau de la Bastille, l’autre le règlement pendu à la bayonnette de son fusil ; un troisième, chose horrible ! levait d’une main sanglante la boucle du col du gouverneur. Ce fut dans cet appareil que le cortège des vainqueurs de la Bastille, suivi d’une foule immense qui inondait la place et les quais, entra dans la salle de l’Hôtel-de-Ville pour apprendre au comité son triomphe et décider du sort des prisonniers qui restaient. Quelques-uns voulaient s’en remettre au comité de leur jugement. Mais d’autres criaient : Point de quartier aux prisonniers ! point de quartier à ceux qui ont tiré sur leurs concitoyens. – Le commandant La Salle, l’électeur Moreau de Saint-Méry, et le courageux Élie, parvinrent néanmoins à calmer la multitude et à obtenir d’elle une amnistie générale. Mais alors vint le tour du malheureux Flesselles. On prétend qu’une lettre trouvée sur Delaunay prouvait sa trahison qu’on soupçonnait déjà. « J’amuse, lui disait-il, les Parisiens avec des cocardes et des promesses : tenez bon jusqu’à ce soir, vous aurez du renfort. » Le peuple se pressa autour du bureau. Les plus modérés demandèrent qu’on se saisît de lui, et qu’il fût mis dans les prisons du Châtelet ; mais d’autres s’y opposèrent en disant qu’il fallait le conduire au Palais-Royal pour y être jugé. Ce dernier vœu devint le vœu général. – Au Palais-Royal ! au Palais-Royal ! s’écrie-t-on de toutes parts. Eh bien ! soit, messieurs, répond Flesselles d’un air assez tranquille, allons au Palais-Royal. – À ces mots, il descend de l’estrade, sort au milieu de la foule qui s’ouvre sur ses pas, et qui le suit sans lui faire aucune violence. Mais au coin du quai Pelletier, un inconnu s’avance vers lui, et l’étend mort d’un coup de pistolet.
Après ces scènes d’armement, de tumulte, de combat, de vengeances, les Parisiens qui craignaient une attaque pendant la nuit, comme l’indiquaient des lettres interceptées, se disposèrent à recevoir les ennemis. La population entière se mit à l’œuvre pour fortifier la ville. On forma des barricades, on ouvrit des retranchements, on dépava les rues, on forgea des piques, on fondit des balles ; les femmes transportèrent les pierres en haut des maisons pour écraser les soldats ; la garde nationale se partagea les postes ; Paris ressembla à un immense atelier et à un vaste camp, et toute cette nuit fut passée sous les
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