Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
été si long-temps en guerre avec leurs vassaux, parce qu’ils étaient en contact avec eux, se rencontrèrent les uns les autres aux limites de leurs états et se combattirent. Comme nulle domination ne put devenir universelle, ni celle de Charles-Quint, ni celle de Louis XIV, les faibles se liguant toujours pour abaisser les plus forts, il s’établit, après diverses vicissitudes de supériorité et d’alliances, une espèce d’équilibre européen. Il n’est pas inutile de connaître ce qu’il était avant la révolution, pour bien apprécier les événements ultérieurs.
L’Autriche, l’Angleterre et la France étaient les trois grandes puissances de l’Europe. L’intérêt liguait ensemble les deux premières contre la troisième. L’Autriche avait à redouter la France dans les provinces belgiques ; l’Angleterre avait à la redouter sur mer. La rivalité de puissance ou de commerce les mettait souvent aux prises, et elles cherchaient à s’affaiblir ou à se dépouiller. L’Espagne, depuis qu’un prince de la maison de Bourbon occupait son trône, était l’alliée de la France contre l’Angleterre. Du reste, c’était une puissance déchue : reléguée dans un coin du continent, affaissée sous le système de Philippe II, privée par le pacte de famille du seul ennemi qui pût la tenir en haleine, elle n’avait conservé que sur mer un reste de son ancienne supériorité. Mais la France avait d’autres alliés sur tous les flancs de l’Autriche ; dans le nord la Suède, dans l’orient la Pologne et la Porte, dans le midi les cercles Germaniques, dans l’ouest la Prusse, et dans l’Italie le royaume de Naples. Ces puissances ayant à redouter les envahissements de l’Autriche, devaient être naturellement les alliées de son ennemie. Placé entre deux, le Piémont était tantôt pour l’un tantôt pour l’autre : le cabinet de Turin, ressemblait à un aventurier, qui louait ses services suivant les circonstances. La Hollande s’alliait à l’Angleterre ou à la France, suivant que le parti du stathouder ou celui du peuple dominait dans la république. La Suisse était neutre.
Deux puissances s’étaient élevées dans le Nord, dont l’une, la Prusse, quoique entrant dans cet équilibre, le dérangeait par la prépondérance qu’elle avait acquise, et dont l’autre, la Russie, était entièrement en dehors des rapports européens, parce qu’elle était toute récente. La Prusse avait été changée de simple électorat en royaume, par Frédéric-Guillaume, qui lui avait donné une armée, et par son fils, le Grand-Frédéric, qui s’en était servi pour l’agrandir. La Russie, placée en troisième ligne, commençait à déborder sur l’Europe, et à déranger son équilibre. Elle avait envahi la Pologne, elle menaçait la Porte ; et comme son seul moyen d’agir était la conquête, elle méditait aussi l’occupation de la Turquie.
Tel était l’état de l’Europe lorsque la révolution française eut lieu. Les potentats qui n’avaient eu jusque-là d’autres ennemis qu’eux-mêmes, virent en elle un ennemi commun. Les anciens rapports de guerre ou d’alliance déjà méconnus pendant la guerre de sept ans, cessèrent entièrement alors : la Suède se réunit à la Russie, et la Prusse à l’Autriche. Il n’y eut plus que des rois d’une part et un peuple de l’autre, en attendant ceux que son exemple ou les fautes des princes lui donneraient pour auxiliaires. Une coalition générale se forma bientôt contre la révolution française : l’Autriche y entra dans l’espoir de s’agrandir, l’Angleterre dans celui de se venger de la guerre d’Amérique ; la Prusse pour raffermir le pouvoir absolu menacé, et occuper son armée oisive ; les cercles de l’Allemagne pour redonner à quelques-uns de leurs membres les droits féodaux, dont l’abolition de ce régime les avait privés en Alsace ; le roi de Suède qui s’était fait le chevalier de l’arbitraire, pour le rétablir en France, comme il venait de le rétablir dans son propre pays ; la Russie pour exécuter sans trouble le partage de la Pologne, tandis que l’Europe serait occupée ailleurs ; enfin, tous les souverains de la maison de Bourbon, par intérêt de pouvoir et par attachement de famille. Les émigrés les encourageaient dans ces projets et les excitaient à l’invasion. Selon eux, la France était sans armée, ou du moins sans chefs, dénuée
Weitere Kostenlose Bücher