Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
la magistrature de France, et encouragée par l’opinion publique. Elle proclama les droits de la nation, sa propre incompétence en matière d’impôts ; et, devenue libérale par intérêt, rendue généreuse par l’oppression, elle s’éleva contre les détentions arbitraires, et demanda les états-généraux régulièrement convoqués. Après cet acte de courage, elle décréta l’inamovibilité de ses membres, et l’incompétence de quiconque usurperait leurs fonctions. Ce hardi manifeste fut suivi de l’arrestation de deux parlementaires, d’Eprémenil et Goislard, de la réforme du corps, de l’établissement d’une cour plénière.
Brienne avait compris que l’opposition du parlement était systématique, et qu’elle se renouvellerait à chaque demande de subsides, ou à chaque autorisation d’emprunt. L’exil n’était qu’un remède momentané, qui suspendait l’opposition sans la détruire. Il projeta dès-lors de réduire ce corps aux fonctions judiciaires, et il s’associa le garde-des-sceaux Lamoignon pour exécuter cette entreprise. Lamoignon était un homme à coups d’état. Il avait de l’audace, et il joignait à l’énergique constance de Maupeou, plus de considération et de probité. Mais il se méprit sur la force du pouvoir et sur ce qui était possible de son temps. Maupeou avait remplacé le parlement, en en changeant les membres ; Lamoignon voulut le désorganiser. L’un de ces moyens, s’il eût réussi, n’eût produit qu’un repos temporaire ; l’autre devait en produire un définitif, puisqu’il détruisait la puissance que l’autre se bornait à déplacer. Mais la réforme de Maupeou ne dura pas, et celle de Lamoignon ne put pas s’effectuer. L’exécution de cette dernière fut néanmoins assez bien conduite. Le même jour, toute la magistrature de France fut exilée afin que la nouvelle organisation judiciaire pût avoir lieu. Le garde-des-sceaux dépouilla le parlement de Paris de ses attributions politiques pour en investir une cour plénière, ministériellement composée, et il réduisit sa compétence judiciaire en faveur des bailliages dont il étendit le ressort. Mais l’opinion fut indignée, le châtelet protesta, les provinces se soulevèrent, et la cour plénière ne put ni se former ni agir. Des troubles éclatèrent en Dauphiné, en Bretagne, en Provence, en Flandre, en Languedoc, en Béarn ; le ministère, au lieu de l’opposition régulière des parlements, rencontra une opposition plus animée et plus factieuse. La noblesse, le tiers, les états provinciaux, et jusqu’au clergé, en firent partie. Brienne, pressé par le besoin d’argent, avait convoqué une assemblée extraordinaire du clergé, qui fit sur-le-champ une adresse au roi, pour lui demander l’abolition de sa cour plénière et le prompt retour des états-généraux. Eux seuls pouvaient désormais réparer le désordre des finances, assurer la dette publique, et terminer ces conflits d’autorité.
L’archevêque de Sens, par sa contestation avec le parlement, avait ajourné la difficulté financière, en créant une difficulté de pouvoir. Au moment où cette dernière cessa, l’autre reparut, et détermina sa retraite. N’obtenant ni impôts ni emprunts, ne pouvant pas faire usage de la cour plénière, ne voulant pas rappeler les parlements, Brienne essaie d’une dernière ressource et promet les états-généraux. Mais ici sa fin arrive. Il a été appelé aux finances pour remédier à des embarras qu’il a augmentés, pour trouver de l’argent qu’il n’a pas pu obtenir. Loin de là, il a exaspéré la nation, soulevé les corps de l’état, compromis l’autorité du gouvernement, et rendu inévitable le pire des moyens d’avoir de l’argent, selon la cour, les états-généraux ; il succombe. L’occasion de sa chute fut la suspension du paiement des rentes de l’état, ce qui était un commencement de banqueroute. Ce ministre a été le plus décrié, parce qu’il est venu le dernier. Héritier des fautes et des embarras du passé, il eut à lutter contre les difficultés de sa position avec des moyens trop faibles. Il essaya de l’intrigue, de l’oppression ; il exila le parlement, le suspendit, le désorganisa : tout lui fut obstacle, rien ne lui fut secours. Après s’être long-temps débattu, il tomba de lassitude et de faiblesse, je n’ose pas dire d’impéritie, car eût-il été bien plus fort et bien plus habile,
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