Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
Siegfried, in Les Techniciens de la colonisation , p. 175-194). Son projet n’était viable que si on persuadait les candidats à l’émigration que partir aux antipodes n’était plus une forme de châtiment, mais une chance qui leur était offerte de construire leur bonheur. Les départs de Grande-Bretagne vers l’Australie (et la Nouvelle-Zélande) passèrent de 68000 durant la décennie 1830-1840 au double, pour atteindre ensuite leur maximum de 378 000 durant la décennie 1880-1890. Quant à l’émigration allemande vers l’Australie méridionale, elle tourne autour de 2 000 à 5 000 personnes par décennie après 1871 (H. Gollwitzer, L’Impérialisme) .
Vers l’État juridique
Qui doit être puni, pour quel délit, et comment ? Tel avait été le problème essentiel qui s’était posé au gouverneur Philips lorsque, en 1788, il avait eu à traiter à la fois du sort des convicts — travailleurs — et des soldats chargés de les surveiller, et qui eux-mêmes étaient soumis à une discipline de fer. Elle n’était, en fait, nécessaire ni aux uns ni aux autres car, au large de Sydney, aucune fuite n’était possible. Certains s’y étaient essayés, croyant que la Chine ou le Japon n’étaient pas loin. On retrouva plus tard leurs ossements, à moins qu’ils n’aient été dévorés par les chiens dingos. Les premiers conflits éclatèrent lorsque les soldats jugèrent que, par rapport à eux, les convicts avaient la vie trop belle. Certes, ces forçats travaillaient dur, on les fouettait au sang — l’un d’entre eux reçut plus de 2 000 coups de fouet sa vie durant… !, mais ils avaient la possibilité de s’accoupler — autant de femmes que d’hommes faisaient partie des convois —, et le gouverneur comprit qu’il ne fallait plus les frapper autant, en cas d’indiscipline, car les grands travaux n’avanceraient plus… Aussitôt la rumeur courut en Angleterre qu’il était bon être convict en Australie…
En fait, se trouvant mêlés aux premiers colons, les fils et petits-fils des convicts continuaient à être traités comme des criminels et à connaître la loi du fouet : ils firent appel àl’ordre judiciaire qui devint leur seul recours face aux autorités qui incarnaient la Couronne — ces militaires qui étaient jaloux de voir les fils de convicts s’émanciper, alors que pour eux la dure discipline militaire se perpétuait, inchangée. C’est ainsi qu’au nom des libertés anglaises les descendants des convicts firent appel aux hommes de loi pour les défendre, de sorte que ce furent des avocats et des juges qui figurèrent parmi les premiers hommes politiques du pays.
Le point important est sans doute que, peu à peu, ce fut ainsi le langage juridique qui devint celui de la politique , de sorte que le pouvoir judiciaire prit le pas sur l’exécutif et le législatif, les juristes ayant le dernier mot dans l’élaboration des décisions prises, d’abord par les gouverneurs, puis, après 1901, par la représentation politique. Dès le milieu du XIX e siècle, dit un témoin, les Australiens ressemblaient aux Américains par leur arrogance, jugeant tous les gouvernements du monde mauvais, sauf le leur ; et défendant, chacun, leur petit intérêt, avec un égoïsme qu’on ne retrouve nulle part. De fait, dans ce pays, par une sorte d’effet « pervers », ces Australiens instituèrent chez eux l’ordre de la loi pour rompre avec la situation dont ils héritaient ; il s’agissait pour eux, dont les parents avaient connu les excès de la loi, de revenir à une norme. Comme l’a montré Alistair Davidson dans The Invisible State , en Australie, le jargon juridique et l’esprit de chicane ont peu à peu réduit à rien les grandes options des leaders politiques ou syndicaux — qu’ils fussent socialistes, ou libéraux, ou se soient dits tels. Dans ce pays, on fait constamment appel à la loi, et l’on se juge trahi par les idées .
Si bien que, par une revanche de l’histoire, des aborigènes ont même réussi à faire valoir leurs droits sur les îles Murray, au nord de la grande barrière de Corail. La Haute Cour mettait ainsi fin à la doctrine de terra nullius selon laquelle l’Australie était inoccupée avant l’arrivée des Britanniques, en créant un nouveau titre de propriété, le Native Title . Cette décision, de 1992, remet en cause le statut de bien des terres, notamment en Australie occidentale. En Queensland, la tribu
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