Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
le fait que la religion ne leur a pas servi de protection — comme l’Islam pour les Arabes. Au cours des XVIII e et XIX e siècles, en effet, comme W.G.L. Randles l’a montré, bien des Bantous avaient abandonné leurs mythes pour adopter le Dieu chrétien des missionnaires. Simultanément, les Européens avaient abandonné leurs propres principes pour adopter ceux de la réciprocité et de l’échange, qui, avant leur arrivée, avaient été ceux des Bantous. Jusque-là, chez eux, les rois et eux seuls fixaient la valeur des choses ; désormais, les prix changent à cause des lois du marché, ce qui pour les Bantous est une duperie chaque fois que la valeur de leurs produits baisse, tandis que les Européens n’y voient aucun mal, puisqu’ils y gagnent. A titre de compensation, les Bantous, qui ignoraient l’idée d’un Dieu suprême, en découvrirent les vertus pour s’en servir comme d’une arme contre les intrus européens, tel le Xhosa Makanna qui attend « le grand jour de la résurrection lorsque les morts se relèveront au coucher du dernier soleil ». Cette vision millénariste se traduisit par le soulèvement de 10 000 Xhosas contre la ville de Grahamstown (début du XX e siècle). Ainsi, et bien que les mouvements millénaristes se soient multipliés, les Bantous n’avaient guère tiré profit de la transformation de leurs ancêtres fondateurs en dieux bibliques. Ils ont ainsi tout perdu, au plan symbolique comme au plan des échanges, et même leur Histoire, puisque les Sud-Africains refusent d’admettre que, sur le Veld, les Bantous étaient là avant eux et que, malgré les preuves apportées par les archéologues, ils n’acceptent pas non plus l’idée que, plus au nord, les Noirs aient été capables de construire les monuments du Zimbabwe — leur rancœur, leur peine, leur colère sont extrêmes.
A USTRALIE : OÙ DES « CRIMINELS » VEULENT INSTITUER UN JUSTE DROIT
A la différence d’autres territoires, l’Australie n’a pas été occupée, en 1787, pour prévenir une prise de possession par les « mangeurs de grenouilles » ou par les « fumeurs de harengs », mais pour se débarrasser de la « classe criminelle ».
« Une expérience », disait Jeremy Bentham ; une première expérience que les Français imitèrent ultérieurement en Guyane, puis en Nouvelle-Calédonie, mais dans un contexte différent.
Comment se débarrasser des criminels ? Tel était le problème qui se posait au Parlement sous George III. A cette date, on en comptait 115 000, à Londres seulement ; et les Anglais, au nom de leurs libertés, se refusaient à avoir une police — Peel en créa une seulement vers 1830. Les criminels étaient catalogués en une centaine de catégories, depuis les drag sneaks , qui volent les voyageurs, les snoozers , qui « piquent » leurs bagages à l’hôtel, les skinners , qui dépouillent les enfants de leurs vêtements, etc. La délinquance ne cessait de croître avec le gonflement des grandes villes : Fielding, Dickens, puis Marx ont décrit la misère et la cruauté qui l’ont accompagné. A cette date, la véritable lutte des classes n’était pas celle qui opposait les patrons et les ouvriers, mais les délinquants et les travailleurs.
Toutefois, selon la jolie expression de Robert Hughes, « crime was still a cottage industry » ; le crime était encore une industrie domestique, il n’existait pas de bandes réellement organisées… Dès lors, l’armée ou la marine suffisaient bien pour opérer des rafles, on leur livrait les délinquants. Et ils étaient là, parqués par milliers… La loi était très dure : pour le moindre délit, pour toute atteinte à la propriété privée, on était condamné à mort, telle cette fillette de treize ans qui vola une chemise.
Mais, devant la montée du sentiment humanitaire — nous sommes à l’époque de Wilberforce —, le mouvement abolitionniste se développe avec vigueur — qui se dresse au même moment contre les expériences chirurgicales opéréessur les chiens —, et on hésite de plus en plus à exécuter les condamnés à mort : de 1749 à 1758, on avait compté 365 exécutions en place publique, pour 527 condamnations à mort. De 1799 à 1808, il n’y en eut plus que 126 pour 804 condamnations à la peine capitale, le pourcentage étant ainsi passé de 69 % à 15 %.
Mais, les prisons étant pleines, que faire des criminels ainsi confiés à
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