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Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle

Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle

Titel: Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Ferro
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chantre et l’incarnation de l’expansion impérialiste depuis son discours de 1872 au Palais de Cristal, et qui pourtant avait parlé naguère de ces« maudites colonies qui sont pour nous une meule autour du cou ». Et, pourtant, il entendait désormais créer la Fédération impériale, en faisant des colonies les unités autonomes d’un Empire formant une union douanière. Les terres non occupées des colonies devaient être réservées aux Anglais, un organe central à Londres assurant la coordination de ces opérations. Joe Chamberlain reprenait ce dispositif quelques années plus tard. Or il est remarquable que le terme « préservation » de l’Empire, utilisé en l’occurrence, impliquait de fait une extension territoriale. Le retournement venait de ce que ce slogan de l’impérialisme révélait son efficacité pour autant qu’il détournait les citoyens de leurs soucis quotidiens auxquels les anciens dirigeants conservateurs n’avaient pas su répondre ; et ils n’avaient plus de projet politique. Le slogan impérialiste eut certes du succès parce qu’il procurait des avantages à toute une série de groupes d’intérêts, notamment un tarif douanier protecteur pour tous ces industriels que menaçait la politique de dumping des exportateurs allemands. Mais il eut du succès aussi parce qu’il flattait l’amour-propre et l’orgueil de ceux qui n’ont rien. De sorte qu’on observe ce contraste : alors que l’opinion publique anglaise était devenue, au début du XIX e  siècle, de plus en plus hostile à l’expansion coloniale, volontiers identifiée au trafic d’esclaves  2 et aux humiliations liées à la création des États-Unis, elle devint favorable à l’impérialisme pour autant qu’il flattait et défendait des intérêts anglais, tant aux confins de l’Inde contre les « pillards » et les brigands qu’en Afrique du Sud où, lors de la guerre des Boers, « il n’y avait pas un mendiant qui ne parlât de nos sujets rebelles ». On retrouve les mêmes comportements en France lorsque les « salopards » des confins marocains « attaquent nos colons » d’Algérie, au début du XX e  siècle.
    Aux confins du Caucase ou de l’Asie centrale, en Russie, pour une situation similaire, terme pour terme, on retrouve chez le prince chancelier Gortchakov, en 1864, les arguments des impérialistes anglais et français : « La situation de la Russie est celle de tous ces États civilisés qui entrenten contact avec des nomades sans organisation étatique bien établie… Pour prévenir leurs raids et actes de pillage, on doit se les subordonner et les contrôler de façon étroite… Mais il y en a d’autres plus loin… alors on est obligé d’aller plus loin aussi… C’est ce qui est arrivé à la France en Afrique, aux États-Unis en Amérique, à l’Angleterre en Inde. On marche en avant autant par nécessité que par ambition » (cité in Vemadski, III, p. 610).
    Il s’agit toujours de cette « préservation de l’Empire » définie par Disraeli.
    Que la symbolique de la domination ait compté autant que les intérêts proprement matériels, plusieurs situations historiques en témoignent dans l’histoire de la Grande-Bretagne : depuis le maintien du protectorat sur les îles Ioniennes, de 1815 à 1863, alors qu’à Londres on jugeait inutile la possession de ces îles indéfendables — jusqu’à l’expédition militaire pour la défense des îles Malouines par Mrs. Thatcher —, alors que la perte de l’Inde entière, des Caraïbes et de l’Afrique noire, entre 1947 et 1962, n’avait pas causé tant d’émoi. On retrouve la même situation paradoxale en Russie où la perte de l’Empire, en 1990-1991, a laissé les citoyens indifférents — alors qu’ils se mobilisent pour la défense des îles Kouriles.
    L’appui populaire donné à l’expansion est un des traits spécifiques de l’époque impérialiste — même s’il existe de forts courants hostiles ; un soutien qui passe au travers d’une presse à grand tirage, développée au XIX e  siècle, elle-même produit de l’essor industriel, et dont le Daily Mail en Grande-Bretagne, le Täglische Rundschau en Allemagne, les Novoe Vremja en Russie, Le Petit Parisien et Le Matin en France constituent l’expression la plus connue. L’impérialisme est ainsi un phénomène public — ce que n’était pas toujours l’expansion des siècles précédents — même si certaines

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