Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
nation, de l’État-nation.
Avant l’âge de l’impérialisme, la doctrine mercantiliste, dont Bodin fut le premier théoricien — et qui fut bientôt appliquée par Colbert —, visait, pour sa part, à associer l’Etat aux entreprises d’outre-mer pour s’assurer le monopole des échanges et le maximum des rentrées en or et en argent.
En interdisant aux coloniaux de produire « même unclou », les mercantilistes allaient donner un prétexte à leur révolte, aux États-Unis comme en Amérique espagnole — ce qui mit fin à ce type de rapports. Appliquées aux indigènes, les pratiques mercantilistes ruinèrent les peuples colonisés, comme le montre l’exemple du textile en Inde cité plus bas. Elles ne s’en perpétuèrent pas moins en partie, et même se développèrent par la force au temps de la révolution industrielle. C’est en ce sens que Lénine a pu écrire que l’impérialisme fut le stade suprême du capitalisme.
La colonisation britannique a bien intégré ces variables et ces variations.
Elle a garanti la fortune d’un groupe social qui a su associer la richesse de son sol et de son sous-sol à une pratique financière et commerciale qui lui a assuré une domination mondiale. Mais le capital industriel est demeuré longtemps déconnecté du capital bancaire.
L’industrie s’est ainsi développée à côté de l’Empire, plutôt que grâce à lui ou pour lui, sauf lorsque, après la crise de 1929, la « préférence impériale » est devenue une vraie politique globale (Cain et Hopkins).
C’est la haute finance qui a presque toujours été l’animatrice de la politique impérialiste : ainsi, en 1882, l’expédition d’Égypte a eu lieu, non pour acquérir des marchés ou annexer des territoires, mais bien pour éviter que les dirigeants égyptiens puissent impunément ne pas rembourser leur dette ; ce qui créerait un précédent. De même, pour la City, il fallait empêcher, en Afrique du Sud, les Boers d’aider les Allemands à mettre la main sur les réserves d’or à une date où l’étalon-or assurait la prééminence de la livre sterling.
E FFETS COMPARÉS
Dans leurs effets , la différence essentielle entre l’expansion coloniale des XVI e - XVIII e siècles et l’impérialisme qui prend sa relève est bien que la révolution industrielle donne à celui-ci des moyens d’agir qui modifient du tout au tout le rapport entre métropoles et colonies.
D’une certaine façon, l’expansion coloniale premièremanière se rapprocherait des colonisations de type antérieur (celles des Turcs, des Arabes, voire des Romains, etc.), en ce sens que l’écart économique, militaire et technique, était faible entre colonisateurs et colonisés, et faibles les échanges. L’écart entre le niveau de vie de l’Europe et de ses colonies, en Asie au moins, n’était au départ que de l’ordre de 1 à 1,5 environ, pour autant que ce calcul peut avoir un sens. Pour les colonisés, la détérioration est venue brutalement avec les effets de la révolution industrielle et l’impérialisme. Toujours selon les calculs de Paul Bairoch, l’écart de niveau de vie est passé de 1,9 par rapport à 1 vers 1860, à 3,4 vers 1914, à 5,2 vers 1950. Notons déjà qu’il n’a pas cessé de s’accroître depuis la fin du temps des colonies.
Surtout, cet écart en perpétuelle croissance s’est révélé être l’effet des changements structuraux que la colonisation impliquait et du changement des rapports de force aussi.
Par ailleurs, jusqu’au XVIII e siècle, la consommation des produits extra-européens représentait seulement 2 % et 10 % de la consommation totale européenne.
Enfin, sauf en Amérique espagnole, la première colonisation a seulement égratigné les structures des sociétés conquises ou dominées, et ses assises étaient fragiles. En Inde, par exemple, il importait peu que les marchandises fussent vendues à des Portugais ou à des Arabes. L’avantage des Portugais était qu’ils livraient des armes nouvelles…
Or, avec les exigences de l’impérialisme économique, la deuxième colonisation suscite de profondes transformations structurales. Deux de ces changements sont essentiels, la désindustrialisation et la spécialisation agricole non vivrière.
L’exemple du textile en Inde est emblématique de ce premier changement. Au XVII e siècle, les tissus légers de coton représentaient de 60 à 70 % des exportations indiennes. Avec
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