Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
opérations se font sous le manteau, en fraude même de cette opinion, telles les expéditions de Jules Ferry en Indochine.
L’intérêt économique n’en est pas moins un des supports et des moteurs essentiels de l’impérialisme, bien repéré par John Hobson dans Imperialism, a Study , en 1902, puis parRudolf Hilferding dans Das Finanz Kapital , en 1910. Plus tard, ces idées furent popularisées par l’ouvrage de Lénine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme , qui s’inspira de ces deux textes, et fut publié en 1916 ; sa traduction en allemand et en français date de 1920.
Il existait pourtant une différence entre les thèses de Hobson et celles de Lénine. Le premier voyait dans l’impérialisme britannique « la volonté des intérêts industriels et financiers fortement organisés de s’assurer et de développer, au détriment de la population et par la force publique, des marchés privés pour y déverser leurs surplus de marchandises et y investir leurs surplus de capitaux ». Autrement dit, Hobson considérait l’impérialisme comme un retour au mercantilisme, puisque la force qui le poussait était la nécessité d’amasser un capital national pour concurrencer des puissances rivales. Lénine, au contraire, se plaçait au stade final du développement capitaliste, monopolistique. Il polémiquait avec Kautsky qui jugeait qu’à ce stade les conflits interimpérialistes ne seraient plus rentables alors que selon Lénine ils devenaient inéluctables.
Le point important est sans doute que, pour Lénine, l’impérialisme avait plusieurs figures et était l’effet des diverses phases du développement historique. Certes, l’impérialisme avait préexisté au capitalisme (cf. l’Empire romain), mais il avait existé aussi bien avec son développement, par exemple lors de la constitution des empires austro-hongrois, russe, etc. De sorte que les luttes nationales ne constituaient qu’un fragment du combat universel contre l’impérialisme, celle des pays Baltes contre les Russes devenant désormais l’équivalent de celle des Irlandais ou des Indiens contre les Anglais. La guerre de 1914 mettait fin, selon lui, à la distinction entre expansion coloniale et impérialisme (1916).
Mais il était une autre divergence, plus décisive.
L’impérialisme de la fin du XIX e siècle et celui du XX e siècle étaient différents, à la fois de l’esprit de conquête ou de domination des époques antérieures et de l’expansion coloniale des siècles précédents également par ce trait : cet impérialisme-là est plus que les autres lié au capital financier, et la colonisation ou la conquête neconstituent pas les seules expressions de son existence. Bien sûr, la colonisation et la conquête territoriale peuvent être impérialistes ; mais, au XIX e siècle et jusqu’à la Grande Guerre, l’impérialisme a des moyens d’action qui peuvent s’accommoder de l’indépendance politique : tel est le cas de la pénétration du capital financier en Chine ou dans l’Empire ottoman, en Russie aussi bien.
Aux diverses époques de l’histoire, la colonisation a pris des formes qui ont pu différer, mais qui se sont aussi superposées les unes aux autres. Assurer la domination sur d’autres peuples a bien été le moteur de l’expansion, quel qu’ait pu être le motif affirmé de cet « impérialisme », religieux au temps des Arabes, religieux encore dans les expéditions chrétiennes contre les Infidèles, religieux toujours lorsque catholiques et protestants veulent assurer l’expansion de leur foi, au XVI e et au XVII e siècle.
L’intérêt politique a pu être le compagnon de toutes ces formes de croisades. Pour la première fois, il manifeste son autonomie à l’époque de François I er qui conclut des Capitulations avec le Turc pour combattre Charles V ; il se manifeste de plus en plus à partir de la guerre de Trente Ans où un cardinal, Richelieu, s’allie à un huguenot, le roi de Suède, contre le Saint Empire.
L’intérêt économique apparaît bien avant l’époque dite impérialiste, et il s’affirme surtout lorsque, avec les Actes de navigation (1651), l’expansion outre-mer est considérée comme un monopole de la nation anglaise tout entière — et pas seulement l’intérêt de ses marchands. On pourrait aussi bien considérer ces Actes comme une des racines de l’impérialisme, car celui-ci prétend agir au nom de toute la
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