Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
tournant qui avait modifié sa relation aux colonies. Jusque-là, l’Empire était petit, relativement homogène, très anglais, protestant, et axé sur le commerce . Subitement, après les traités de 1763, elleacquit le Québec, la Floride, Tobago, tous catholiques, et d’autres territoires encore, de sorte que la Grande-Bretagne devenait maîtresse d’un empire immense, disproportionné à la mesure de ses moyens, et surtout hétérogène (L. Colley).
Alors que jusque-là l’Empire coûtait peu, demeurait maîtrisable et n’influait guère sur la manière des Anglais de se gouverner, brusquement il devenait une charge, militaire essentiellement ; surtout sa conservation devenait incompatible avec les principes des libertés anglais — ce dont Burke s’inquiétait —, puisqu’il régnait sur des populations hostiles.
Est-il fortuit que Gibbon ait écrit son ouvrage sur la chute de l’Empire romain au lendemain même du traité de Paris ?
Or, le grand choc que connut l’Angleterre eut une autre origine : ce fut l’indépendance américaine, c’est-à-dire une guerre civile qui opposa, en Angleterre comme outre-Atlantique, des Anglais à des Anglais, puisque des deux côtés l’opinion était partagée. En guise de compensation, les Anglais constatèrent le loyalisme de l’Écosse dont les pionniers avaient d’ailleurs joué un rôle militaire important dans tout le reste de l’Empire, tels Warren Hastings, Gordon, etc. Ainsi, aux colonies anglaises allait succéder l’Empire britannique , animé d’un patriotisme revanchard, qui aboutit à une réaction contre le laxisme des époques précédentes : l’ India Act de 1784, le Canada Act de 1791, l’Acte d’Union avec l’Irlande en 1800 constituent les manifestations de cette politique de redressement, de domination, un trait qui constitue une des caractéristiques de l’impérialisme.
L’autre trait, qui le dispute à celui-ci, mais entre en résonance avec lui, est cette nécessité, nouvelle pour la Grande-Bretagne, de reconvertir sa vision des relations économiques avec le reste du monde, maintenant qu’elle a perdu l’Amérique — et qu’elle est devenue une puissance industrielle. Plutôt que le monopole d’un commerce d’outre-mer, de type mercantiliste, qui lui a permis d’accumuler du numéraire, l’Angleterre a besoin de marchés et de matières premières. Il lui faut une autre Amérique — cesera l’Australie —, une autre Inde —, et la Chine est visée —, une autre Afrique que celle qui fournissait les Antilles et l’Amérique du Nord en esclaves.
Est-ce un hasard si, à quelques années près, la Grande-Bretagne envoie à Pékin sa première grande ambassade (1797), celle de Mac Cartway, si l’ African Association est créée ; si elle propose au D r Mungo Park d’explorer le centre de l’Afrique jusqu’aux sources du Niger ; et si la North West Company se fonde au nord du Canada, tandis que James Cook s’établit à Botany Bay, en Australie ? Cette explosion avait suivi une longue période de conflits internationaux : elle annonçait une reprise coloniale, celle dite de l’impérialisme.
L’exemple de Mungo Park est simple, et clair. Il explique qu’il recevrait de ses commanditaires son salaire de 15 shillings par jour « seulement au cas où il réussirait à mieux faire connaître la géographie de l’Afrique, à ouvrir à leur ambition, à leur commerce, à leur industrie, de nouvelles sources de richesses ».
Les besoins de l’industrialisation, les nécessités du marché le disputent désormais à l’exigence de domination. Mais celle-ci, peu à peu, prend le dessus sur les autres.
S CHUMPETER OU H OBSON ?
Aux débuts du XIX e siècle, la volonté de domination faisait prime en Grande-Bretagne, au point qu’en 1919 Joseph Schumpeter, établissant le bilan de l’impérialisme britannique durant ce siècle, estimait qu’il y a un impérialisme pour autant « qu’un Etat manifeste une disposition, dépourvue d’objectifs [c’est nous qui soulignons], à l’expansion par la force, au-delà de toute limite définissable », c’est-à-dire lorsque l’activité guerrière ou conquérante s’exprime « sans être vraiment le moyen d’aucune fin autre que celle qui est impliquée dans son exercice même » ; ce que Max Weber appelait bientôt la rationalité instrumentale. Pour le montrer, Schumpeter choisit l’exemple de Disraeli, bien défini comme un
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